Cette photo de New York, je l'ai prise de l'autobus sur le chemin du retour, à partir de la rive du New Jersey (cliquez-la pour mieux la voir).
Au moment où je l'ai prise, je regrettais de ne pouvoir la prendre sans la vitre de la fenêtre (dont on voit des reflets) qui s'interposait devant ce qu'on pourrait appeler une «silhouette» d'une partie de Manhattan, (avec la figure emblématique, l'Empire State Building, à droite).
J'ai réfléchi (peut-être est-ce la vitre qui m'y a incité) depuis et je commence à penser que cette photo est symbolique.
C'est comme dans une bulle que mes compagnons de voyage et moi avons vu New York, comme c'est à travers une vitre qu'on peut en voir une partie dans ma photo.
Ce qu'est New York, qui le sait? Ce que nous en avons vu était-il le vrai New York ou ce que des passants pouvaient en voir comme dans un éclair?
La réponse est évidente.
Peut-être, si nous avions pu, aurions-nous vu quelque chose de ce que Federico García Lorca a vu lors de son séjour dans la métropole au début des années trente et qu'il exprime dans le poème que je vais vous présenter tantôt dans sa version originale espagnole (castillane) et en traduction française.
Mais peut-être, seul García Lorca a-t-il pu voir ce qu'il a vu: le New York qu'il a vu c'est García Lorca, c'est la facette García Lorca de New York.
Le New York que nous avons vu c'est un peu ce que nous sommes, peut-être finalement une facette véridique de cette ville multiple, mais seulement une facette.
Peut-être aussi une facette inventée par notre imagination.
Ce que García Lorca a vu, par la force poétique de son texte, a pu transformer New York et s'imposer à la ville comme une facette véridique, une représentation exacte, d'elle-même.
La nôtre, sans littérature ou sans art, pourra difficilement faire de même.
Voici l'originale de la poésie de Lorca:
Voici une traduction française possible:LA AURORA
La aurora de Nueva York tiene
cuatro columnas de cieno
y un huracán de negras palomas
que chapotean las aguas podridas.
La aurora de Nueva York gime
por las inmensas escaleras
buscando entre las aristas
nardos de angustia dibujada.
La aurora llega y nadie la recibe en su boca
porque allí no hay mañana ni esperanza posible.
A veces las monedas en enjambres furiosos
taladran y devoran abandonados niños.
Los primeros que salen comprenden con sus huesos
que no habrá paraíso ni amores deshojados;
saben que van al cieno de números y leyes,
a los juegos sin arte, a sudores sin fruto.
La luz es sepultada por cadenas y ruidos
en impúdico reto de ciencia sin raíces.
Por los barrios hay gentes que vacilan insomnes
como recién salidas de un naufragio de sangre
L'Aurore
L'aurore de New York
a quatre colonnes de vase
et un ouragan de noires colombes
qui barbotent dans l'eau pourrie.
L'aurore de New York gémit
dans les immenses escaliers,
cherchant parmi les angles vifs
les nards de l'angoisse dessinée.
L'aurore vient nul ne la reçoit dans sa bouche
parce qu'il n'y a là ni matin ni possible espérance.
Parfois les pièces de monnaie en essaims furieux
percent et dévorent des enfants abandonnés.
Les premiers qui sortent comprennent dans leur os
qu'il n'y aura ni paradis ni amours effeuillées,
ils savent qu'ils vont à la fange des nombres et des lois,
aux jeux sans art, aux sueurs sans fruit.
La lumière est ensevelie sous les chaînes et les bruits
en un défi impudique de science sans racines.
Il y a par les faubourgs des gens qui titubent d'insomnie
comme s'ils venaient de sortir d'un naufrage de sang.
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