vendredi 19 février 2010

Les Poupées de l'histoire russe

Denise Pelletier parle (ici) des «poupées russes» qu'elle a rapportées d'un voyage en Russie tout de suite (ou presque) après la chute de l'URSS.
Elle n'en parle pas mais ces poupées russes constituent selon moi un très véridique symbole de l'histoire russe.
Je me souviens dans ces années-là on entretenait beaucoup d'espoirs à propos de la démocratisation de la Russie.
Certains parlaient même à cette époque de «fin de l'histoire» (de naïfs États-uniens qui affirmaient croire que la démocratie l'avait dorénavant emporté dans le déroulement de l'histoire du monde mais qui camouflaient derrière ce mot de «démocratie» le mot «États-Unis» et leur croyance que ce pays -leur pays- avait définitivement établi son empire éternel sur le monde: ce que les évènements ultérieurs ont heureusement démenti).
Hélas! Comme une poupée russe emboîtée dans une autre, une autre dictature est sortie de la précédente: Poutine -et pâles consorts- est sorti de Staline -et pâles consorts-, nouveaux riches sont sortis de nomenklaturistes.
Et tous sortaient d'Yvan le Terrible et de ses successeurs (sans parler des prédécesseurs d'Yvan, imitateurs de Mongols et d'empereurs byzantins)
C'est le déroulement de l'histoire russe: d'une dictature, d'un petit père à l'autre, de massacreurs à massacreurs, d'exploiteurs à spolieurs.
Avec tout ce que cela comporte d'humiliations pour tous les citoyens mais en particulier pour ceux d'entre eux qui dépassent les autres par leur génie.
Exemple: Chostakovitch.
Voici un paragraphe résumant les humiliations que ce grand musicien et, à travers lui, tout son peuple, a subies:

Le 28 janvier 1936 paraît dans la Pravda un article intitulé : «Le Chaos remplace la musique», violente diatribe contre l'opéra Lady Macbeth. Staline, accompagné d'Andreï Jdanov et de Mikoïan, avait en effet assisté deux jours auparavant à une représentation de l'opéra au Bolchoï, et l'avait détesté. Trois types de reproches étaient faits à l'œuvre de Chostakovitch : sa musique, faite de «tintamarre, grincements, glapissements»; son «formalisme petit-bourgeois» qui niait simplicité et réalisme socialiste au profit de l'«hermétisme»; et son «naturalisme grossier» montrant sur scène des personnages « bestiaux », « vulgaires ». L'article va même jusqu'à menacer l'existence de Chostakovitch par cette phrase lourde de sens en pleine folie des purges staliniennes : «On joue avec l'hermétisme, un jeu qui pourrait mal finir». Les représentations furent aussitôt arrêtées. Le 6 février 1936, Chostakovitch subit un autre coup du sort avec la publication dans la Pravda d'un article éreintant son ballet «le Clair Ruisseau». Puis, quelques jours plus tard, il fait l'objet d'une condamnation officielle au cours d'une réunion de la section de Leningrad de l'Union des compositeurs. Beaucoup de ses anciens amis rivalisent alors d'attaques contre lui. Chostakovitch devient ainsi officiellement un «ennemi du peuple», accusation qui, dans l'URSS des années 1930, précédait bien souvent une déportation. En juin 1937, il est convoqué par le NKVD pour être interrogé et ne doit sa survie qu'à l'exécution de l'officier en charge de son dossier. L'attente constante du pire le plonge dans l'insomnie et la dépression. Il est hanté par des idées de suicide, qui ne cesseront de le tourmenter toute sa vie.

Et malgré cela Chostakovitch compose, dans le cadre d'une suite pour orchestre de variété (qui est peut-être un pied de nez au Parti), une valse qui renouvelle l'idée qu'on se fait de la valse (c'est la Valse n° 2), dont voici une interprétation par l'Orchestre symphonique de la fédération de Russie sous la direction de Dmitry Yablonsky:

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