jeudi 11 février 2010

La haute tour

J'ai vu une photo si belle de la tour du pavillon principal de l'Université de Montréal cette semaine dans le journal Le Devoir que j'ai décidé de vous en présenter une autre photo (celle du Devoir a été impossible à numériser).
Je l'ai un peu trafiquée afin que vous puissiez mieux voir le style «art déco» de cette œuvre d'Ernest Cormier.
Remarquez sa jolie petite coupole, presque orientale.
Et puis j'ai décidé de profiter d'elle (de la photo, de la tour) pour vous présenter les deux versions de «La Chanson de la plus haute tour» d'Arthur Rimbaud, qui n'a pas grand chose à voir avec la tour de l'Université de Montréal (excepté peut-être que, bibliothèque, elle a peut-être un jour abrité le poème de Rimbaud) car elle n'est pas la plus haute tour de Montréal (je ne sais pas si elle ne l'a pas été un jour).
Peut-être ses lignes droites obstinément verticales ont-elles un rapport avec la poésie de Rimbaud mais il faudrait longuement y réfléchir pour trouver comment.
Voici la chanson de Rimbaud.
La première version -la plus longue et celle que j'aime le moins- faisait partie des «Vers nouveaux» de 1872.
La seconde, -une version abrégée où la poésie est , de ce fait, multipliée (car un poème est la pointe d'un iceberg dont la plus grande partie se trouve dans l'esprit de son lecteur) fait partie d'«Une Saison en enfer».
Première version:

Chanson de la plus haute tour

Oisive jeunesse
A tout asservie,
J'ai perdu ma vie,
Ah ! Que le temps vienne
Où les cœurs s'éprennent.

Je me suis dit : laisse,
Et qu'on ne te voie :
Et sans la promesse
De plus hautes joies.
Que rien ne t'arrête
Auguste retraite.

J'ai tant fait patience
Qu'à jamais j'oublie ;
Craintes et souffrances
Aux cieux sont parties.
Et la soif malsaine
Obscurcit mes veines.

Ainsi la Prairie
À l'oubli livrée,
Grandie, et fleurie
D'encens et d'ivraies
Au bourdon farouche
De cent sales mouches.

Ah ! Mille veuvages
De la si pauvre âme
Qui n'a que l'image
De la Notre-Dame !
Est-ce que l'on prie
La Vierge Marie ?

Oisive jeunesse
A tout asservie
Par délicatesse
J'ai perdu ma vie.
Ah ! Que le temps vienne
Où les cœurs s'éprennent !

Seconde version:

Chanson de la plus haute tour

Qu'il vienne, qu'il vienne,

Le temps dont on s'éprenne.

J'ai tant fait patience

Qu'à jamais j'oublie.

Craintes et souffrances

Aux cieux sont parties.

Et la soif malsaine

Obscurcit mes veines.

Qu'il vienne, qu'il vienne,

Le temps dont on s'éprenne.

Telle la prairie

À l'oubli livrée,

Grandie, et fleurie

D'encens et d'ivraies,

Au bourdon farouche

Des sales mouches.

Qu'il vienne, qu'il vienne,

Le temps dont on s'éprenne.

Le plus touchant aveu pour moi, dans la dernière strophe de la première version:


Par délicatesse
J'ai perdu ma vie.

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