mardi 23 février 2010

Les Muses de la Place d'Youville et (mais cela n'a rien à voir) l'orthographe


Ce sont les Muses d'Alfred Laliberté sur la Place d'Youville à Québec.
Elles ont été offertes à la ville de Québec par le gouvernement du Québec « pour commémorer, dit la plaque de dédicace, le 375e anniversaire de sa capitale ».
C'était en 1985.
Elles ne sont que six alors qu' elles étaient neuf dans la mythologie grecque et latine, les neuf filles de Mnémosyne, la déesse de la Mémoire pour souligner que, dans la pratique d'un art novateur, la mémoire est indispensable pour un artiste afin, d'une part, de ne pas refaire ce qui a déjà été fait et afin, d'autre part, de se servir de ce qui a été fait comme point de départ pour créer ses propres œuvres.
Ici Alfred Laliberté a représenté la Musique (elle correspond à la muse Euterpe), l'Éloquence (elle correspond à la muse Calliope), la Poésie (la muse Érato), l'Architecture, la Sculpture, la Peinture.
Dans l'Antiquité, il n'y avait pas de muses pour les arts plastiques (sculpture, peinture) et spatiaux (l'architecture).
L'Histoire (étonnant, n'est-ce pas ? c'est la muse Clio), la Danse (Terpsichore), la Comédie (Thalie), la Tragédie (Melpomène) avaient pourtant chacune leur muse.
Même l'astrologie en avait une (Uranie). L'astrologie, un art ? Pourquoi pas ? Un art de la fiction comme un peu tous !
On ajoutait à ces arts la rhétorique, dont la muse était Polymnie.
Jusqu'à un certain point, on pourrait dire que Polymnie était la muse de la littérature.
Mais la notion de littérature n'a commencé à exister que vers la fin du 18e siècle.
Mystère de la culture des peuples !
Ces Muses de Laliberté sont à leur place là où elles se trouvent, devant le Palais Montcalm, la plus merveilleuse salle de musique baroque (et de musique tout court) de Québec et du Québec (à l'époque où j'écris ce billet).
Voyez-les, de dos, sur cette photo prise à partir de Google Street View (elles sont en bas à droite) devant la Palais, d'architecture d'inspiration « Art déco »:

Peut-être méritent-elles qu'on leur dédie ce sonnet tiré des « Regrets » de Joachim du Bellay.
Pour introduire un peu de doutes dans l'esprit de ceux qui s'opposent à la réforme de l'orthographe, je vais vous le présenter dans son orthographe originelle et dans l'orthographe actuelle.
Ces opposants verront mieux ainsi qu'une simplification de l'orthographe n'est pas la fin de la langue, au contraire:

Orthographe ancienne:


Las, ou est maintenant ce mespris de Fortune?

Ou est ce cœur vainqueur de toute adversité,

Cest honneste desir de l'immortalité,

Et ceste honneste flamme au peuple non 
                                                       [commune?

Ou sont ces doulx plaisirs qu'au soir soubs la nuict
                                                          [brune

Les Muses me donnoient, alors qu'en liberté

Dessus le verd tapy d'un rivage escarté

Je les menois danser aux rayons de la Lune?

Maintenant la Fortune est maistresse de moy,

Et mon cœur qui souloit estre maistre de soy,

Est serf de mille maux et regrets qui m'ennuyent.

De la posterité je n'ay plus de souci,

Ceste divine ardeur, je ne l'ay plus aussi,

Et les Muses de moy, comme estranges*, 
                                                       [s'enfuyent.  

Orthographe actuelle :

Las, où est maintenant ce mépris de Fortune?

Où est ce cœur vainqueur de toute adversité,

Cet honnête désir de l'immortalité,

Et cette honnête flamme au peuple non 

                                                     [commune ?

Où sont ces doux plaisirs qu'au soir sous la nuit

                                                                [brune

Les Muses me donnaient, alors qu'en liberté

Dessus le vert tapis d'un rivage écarté

Je les menais danser aux rayons de la Lune?

Maintenant la Fortune est maîtresse de moi,


Et mon cœur qui voulait être maître de soi,

Est serf de mille maux et regrets qui m'ennuient.

De la postérité je n'ai plus de souci,


Cette divine ardeur, je ne l'ai plus aussi,

Et les Muses de moi, comme étranges*, s'enfuient.


La poésie a-t-elle fui avec l'orthographe originelle ?
Voici la plaque de dédicace de la sculpture. Remarquez à droite la silhouette du navire de Samuel de Champlain, le « Don de Dieu », symbole de la ville de Québec:

(Cliquez l'image pour zoomer et mieux lire)


* Au 16e siècle, la distinction n'avait pas encore été établie entre « étrange » et « étranger » ou « étrangère ». En français québécois, héritier du français des rois, j'ai déjà entendu des gens (d'une autre génération) utiliser « étrange » plutôt qu'« étranger ».

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