4 janvier 1960. Je ne me souviens pas de ce que je faisais ce jour-là ni même quel jour de la semaine c'était.
C'était le jour de la mort d'Albert Camus.
Deux ans plus tard j'ai lu «L'Étranger» et quatre ans plus tard, au cours d'«Histoire de la philosophie» on m'a présenté «Le Mythe de Sisyphe» dont j'ai découvert avoir éprouvé la vérité dans ma propre vie.
Mais cela c'était de la philosophie.
Je n'ai eu la révélation de l'essence véritable de la littérature, c'est-à-dire la métaphore, la métamorphose de quelque chose en autres choses (j'écris «autres choses» au pluriel car la métaphore qu'est la littérature est une magie puissante, un miracle, et elle transforme toujours quelque chose en un millier au moins, sinon en mille milliards d'autres choses) qu'en 1966, peut-être au mois de février, sous la haute tour de l'Université de Montréal.
Je l'ai découverte dans ce texte de «L'Étranger» où quatre coups de révolver étaient transformés en quatre coups frappés à la porte du malheur, à la porte du Destin:
À cause de cette brûlure que je ne pouvais plus supporter, j’ai fait un mouvement en avant. Je savais que c’était stupide, que je ne me débarrasserais pas du soleil en me déplaçant d’un pas. Mais j’ai fait un pas, un seul pas en avant. Et cette fois, sans se soulever, l’Arabe a tiré son couteau qu’il m’a présenté dans le soleil. La lumière a giclé sur l’acier et c’était comme une longue lame étincelante qui m’atteignait au front. Au même instant, la sueur amassée dans mes sourcils a coulé d’un coup sur les paupières et les a recouvertes d’un voile tiède et épais. Mes yeux étaient aveuglés derrière ce rideau de larmes et de sel. Je ne sentais plus que les cymbales du soleil sur mon front et, indistinctement, le glaive éclatant jailli du couteau toujours en face de moi. Cette épée brûlante rongeait mes cils et fouillait mes yeux douloureux. C’est alors que tout a vacillé. La mer a charrié un souffle épais et ardent. Il m’a semblé que le ciel s’ouvrait sur toute son étendue pour laisser pleuvoir du feu. Tout mon être s’est tendu et j’ai crispé ma main sur le revolver. La gâchette a cédé, j’ai touché le ventre poli de la crosse et c’est là, dans le bruit à la fois sec et assourdissant, que tout a commencé. J’ai secoué la sueur et le soleil. J’ai compris que j’avais détruit l’équilibre du jour, le silence exceptionnel d’une plage où j’avais été heureux. Alors, j’ai tiré encore quatre fois sur un corps inerte où les balles s’enfonçaient sans qu’il y parût. Et c’était comme quatre coups brefs que je frappais sur la porte du malheur.
Mais il n'y a pas que ces quatre coups de révolver dans cet extrait: lisez-le, il n'est que métamorphose et miracle, il n'est que métaphore.
1 commentaire:
Wow. Quel texte. Quelle poésie. C'est à relire et à relire, tellement c'est foisonnant. Merci Jacques. Les images s'y bousculent avec force et émotion. Incroyable...
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