mardi 2 novembre 2010

La beauté (ou la laideur) est dans les yeux, pas dans les objets

Un nature morte, surtout des pêches
mais, après Chardin,
elles valent toute la cour de Louis XIV.

Voici comment Marcel Proust, avant d'écrire «la Recherche du temps perdu», raconte l'aventure de la peinture de Chardin au 18e siècle, aventure qui a consisté en bref à rendre les petites gens ou les objets, tout ce qu'on ne peignait pas jusqu'à lui, aussi dignes d'être peints que ceux qui croyaient avoir du sang bleu ou un droit divin à voir leurs traits immortalisés dans les tableaux.
(Il est question dans ce passage tiré du «Contre Sainte-Beuve» d'un jeune homme qui trouve la vie insipide parce qu'il n'y aperçoit que des choses vulgaires).
Si je connaissais ce jeune homme, je ne le détournerais pas d'aller au Louvre et je l'y accompagnerais plutôt ; mais le menant dans la galerie Lacaze et dans la galerie des peintres français du XVIIIe siècle, ou dans telle autre galerie fran­çaise, je l'arrêterais devant les Chardin. Et quand il serait ébloui de cette peinture opulente de ce qu'il appelait la médio­crité, de cette peinture savoureuse d'une vie qu'il trouvait insipide, de ce grand art d'une nature qu'il croyait mesquine, je lui dirais : Vous êtes heureux ? Pourtant qu'avez-vous vu là? qu'une bourgeoise aisée montrant à sa fille les fautes qu'elle a faites dans sa tapisserie (La mère laborieuse), une femme qui porte des pains (la Pourvoyeuse), un intérieur de cuisine où un chat vivant marche sur des huîtres, tandis qu'une raie morte pend aux murs, un buffet déjà à demi dégarni avec des cou­teaux qui traînent sur la nappe (Fruits et Animaux), moins encore, des objets de table ou de cuisine, non pas seulement ceux qui sont jolis, comme des chocolatières en porcelaine de Saxe (Ustensiles variés), mais ceux qui vous semblent le plus laids, un couvercle reluisant, les pots de toute forme et toute matière (la Salière, l'Écumoire), les spectacles qui vous répugnent, poissons morts qui traînent sur la table (dans le tableau de la Raie), et les spectacles qui vous écœurent, des verres à demi vidés et trop de verres pleins (Fruits et Animaux). Si tout cela vous semble maintenant beau à voir, c'est que Chardin l'a trouvé beau à peindre. Et il l'a trouvé beau à peindre parce qu'il le trouvait beau à voir.
Comme
Proust dans «la Recherche», Chardin fait voir que la beauté des objets et des gens ne réside pas en eux-mêmes mais dans les yeux qui les regardent.
C'est aujourd'hui l'anniversaire de la naissance de Chardin (2 novembre 1699), voici son auto-portrait:

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