lundi 1 mars 2010

Libérations

C'est aujourd'hui le deux-centième anniversaire de la naissance de Frédéric Chopin.
Il est né dans une Pologne (appelée à l'époque «Grand-duché de Varsovie») libérée des vautours russes, prussiens et autrichiens par Napoléon Bonaparte.
Il a dû s'en exiler quand Napoléon a été défait et que sont revenus les charognards.
Et il n'a pas eu la possibilité de voir son pays libéré définitivement avant sa mort, survenue en 1849.
Verrons-nous quant à nous notre pays libre?
Cette libération est venue cependant ( en 1918) car les libérations surviennent toujours pour les peuples qui les méritent.
Je vais vous présenter l'une des compositions pour piano la plus célèbre, la plus romantique de Chopin.
Mais auparavant je vais vous citer un passage d'«À la recherche du temps perdu» où il est question de Chopin et de sa résurrection dans le goût des gens du monde une fois que ceux-ci ont appris que le musicien qu'il était à la mode d'apprécier, Debussy, considérait Chopin comme l'un de ses maîtres.
On aime toujours les choses pour de mauvaises raisons peut-être.
Voici ce passage où le narrateur de «la Recherche» permet à une interprète de Chopin -Mme de Cambremer- de rejouer celui-ci sans craindre de subir le mépris de sa snobe belle-fille -la Cambremer-Legrandin (si jamais vous lisez «La Recherche» vous saurez ce que signifie ce nom de «Legrandin»):

Il est vrai que la seule élève encore vivante de Chopin déclarait avec raison que la manière de jouer, le «sentiment», du Maître, ne s’était transmis, à travers elle, qu’à Mme de Cambremer; mais jouer comme Chopin était loin d’être une référence pour la sœur de Legrandin, laquelle ne méprisait personne autant que le musicien polonais (...) «Je serais très heureuse de vous faire de la musique, me dit Mme de Cambremer. Mais, vous savez, je ne joue que des choses qui n’intéressent plus votre génération. J’ai été élevée dans le culte de Chopin», dit-elle à voix basse, car elle redoutait sa belle-fille et savait que celle-ci, considérant que Chopin n’était pas de la musique, le bien jouer ou le mal jouer étaient des expressions dénuées de sens. Elle reconnaissait que sa belle-mère avait du mécanisme, perlait les traits. « Jamais on ne me fera dire qu’elle est musicienne », concluait Mme de Cambremer-Legrandin. Parce qu’elle se croyait «avancée» et (en art seulement) «jamais assez à gauche», disait-elle, elle se représentait non seulement que la musique progresse, mais sur une seule ligne, et que Debussy était en quelque sorte un sur-Wagner, encore un peu plus avancé que Wagner.
Pourtant ce rajeunissement des «nocturnes» n’avait pas encore été annoncé par la critique. La nouvelle s’en était transmise seulement par des causeries de «jeunes». Il restait ignoré de Mme de Cambremer-Legrandin. Je me fis un plaisir de lui apprendre, mais en m’adressant pour cela à sa belle-mère, comme quand, au billard, pour atteindre une boule on joue par la bande, que Chopin, bien loin d’être démodé, était le musicien préféré de Debussy. «Tiens, c’est amusant», me dit en souriant finement la belle-fille, comme si ce n’avait été là qu’un paradoxe lancé par l’auteur de Pelléas. Néanmoins il était bien certain maintenant qu’elle n’écouterait plus Chopin qu’avec respect et même avec plaisir. Aussi mes paroles, qui venaient de sonner l’heure de la délivrance pour la douairière, mirent-elles dans sa figure une expression de gratitude pour moi, et surtout de joie. Ses yeux brillèrent comme ceux de Latude dans la pièce appelée Latude ou Trente-cinq ans de captivité et sa poitrine huma l’air de la mer avec cette dilatation que Beethoven a si bien marquée dans Fidelio, quand ses prisonniers respirent enfin « cet air qui vivifie ». Quant à la douairière, je crus qu’elle allait poser sur ma joue ses lèvres moustachues. «Comment, vous aimez Chopin? Il aime Chopin, il aime Chopin», s’écria-t-elle dans un nasonnement passionné...

Et voici le Prélude no 4 en mi mineur (un largo intitulé «
Suffocation») de Chopin (on a joué ce prélude lors de ses funérailles) interprété par Sergio Tiempo (page en anglais au bout de ce lien):



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