Staline XIV
Toutes les dictatures se ressemblent dans la nécessité où se trouvent ceux qui les subissent de complaire au dictateur et à ses moindres désirs, sous peine des plus affreux châtiments.Quitte à annihiler leurs propres désirs, leurs propres goûts, leur propre soi.
Quitte à se tuer pour ne pas mourir.
Et parfois à mourir de toute façon même s'ils se sont tués pour plaire au maître (et très souvent à ses sbires).
(Peut-être n'est-ce pas seulement sous une dictature qu'on est obligé d'agir ainsi et de se trahir soi-même: en situation d'emploi dans une entreprise ou dans un ministère ou dans une institution ou dans un gouvernement ou dans une église, on doit un peu beaucoup se sacrifier et se trahir soi-même de la même façon pour ne pas subir la vengeance de celui qui a été élu par les ignorants électeurs (illettrés à 80%, je l'ai déjà dit dans ce blogue), par les stupides cardinaux, par les cupides actionnaires et membres du conseil d'administration ou par les membres serviles du conseil des ministres ou du conseil municipal, voire par les amis indignes et également cupides du premier ministre ou du président de la république ou du maire).
Les choses sont plus visibles dans les dictatures avérées.
Les connaissances qu'on peut tirer des dictatures de naguère (ou d'aujourd'hui) nous aident à mieux saisir les dictatures de jadis.
Et vice-versa, car les documents qui livrent les secrets des dictatures de jadis sont plus facilement accessibles, -ceux qui auraient intérêt à les cacher étant morts-, et permettent de mieux deviner tous les chemins qu'ont empruntés ou empruntent les dictatures de naguère et les dictatures d'aujourd'hui.
Je continue ma lecture du livre de Pierre Lepape, « Le Pays de la littérature ».
Voici (le livre le révèle) ce qui se passait sous la dictature catholique de Louis XIV (on voit que c'est l'équivalent exact de ce qui se passait sous la dictature communiste de Staline ou de Mao ou sous la dictature fasciste de Mussolini ou de Hitler, ou sous les dictatures également catholiques de Franco, de Salazar et de Maurice Duplessis, etc.):
Comment préserver la littérature quand l'État exige la propagande? C'est la grande affaire du siècle, peut-être la clef secrète de sa richesse en grandes œuvres. Chacun y applique son génie de la dissimulation. L'exemple vient de haut, du roi-comédien, metteur en scène permanent de lui-même qui cache les ressorts de son pouvoir dans les excès de sa représentation. Le théâtre, qui est, par essence, l'endroit où l'on montre, devient aussi le lieu où l'on occulte. Molière épuise ses forces et aiguise son talent à naviguer entre les obstacles, à ruser avec la faveur royale, à jouer des vents dominants et avec les contradictions de ses ennemis. Racine ne parvient à demeurer lui-même qu'en trahissant tout le monde, ses amis, ses maîtres de Port-Royal, ses maîtresses, ses convictions -et pour finir le théâtre lorsque le roi tournera bigot. Une vie de courtisan, âpre, querelleuse, calculatrice, sans scrupules afin d'offrir à la passion la plus pure de ses musiques.
La Fontaine y réussit mieux, dans cette œuvre de dissimulation, en se tenant éloigné de l'entourage du dictateur (mais c'est ce que désire le dictateur) et en choisissant de pratiquer un genre littéraire -la fable- qui n'a rien à voir avec les désirs du dictateur et de ses sbires, Colbert, Louvois et autres « nomenklaturistes » avant la lettre.
La fable, en effet, s'adresse aux enfants et la morale qui en fait obligatoirement partie ne s'adresse à personne d'autre qu'aux enfants.
Croit le dictateur. Croient ses esclaves. Croient « leurs prêtres, leurs traîtres et leurs reîtres » (Jacques Prévert).
Voyez:
Les Animaux malades de la peste
Un mal qui répand la terreur,
Mal que le Ciel en sa fureur
Inventa pour punir les crimes de la terre,
La Peste (puisqu'il faut l'appeler par son nom)
Capable d'enrichir en un jour l'Achéron,
Faisait aux animaux la guerre.
Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés:
On n'en voyait point d'occupés
A chercher le soutien d'une mourante vie;
Nul mets n'excitait leur envie;
Ni Loups ni Renards n'épiaient
La douce et l'innocente proie.
Les Tourterelles se fuyaient:
Plus d'amour, partant plus de joie.
Le Lion tint conseil, et dit: Mes chers amis,
Je crois que le Ciel a permis
Pour nos péchés cette infortune;
Que le plus coupable de nous
Se sacrifie aux traits du céleste courroux,
Peut-être il obtiendra la guérison commune.
L'histoire nous apprend qu'en de tels accidents
On fait de pareils dévouements:
Ne nous flattons donc point; voyons sans indulgence
L'état de notre conscience.
Pour moi, satisfaisant mes appétits gloutons
J'ai dévoré force moutons.
Que m'avaient-ils fait? Nulle offense :
Même il m'est arrivé quelquefois de manger
Le Berger.
Je me dévouerai donc, s'il le faut; mais je pense
Qu'il est bon que chacun s'accuse ainsi que moi :
Car on doit souhaiter selon toute justice
Que le plus coupable périsse.
- Sire, dit le Renard, vous êtes trop bon Roi;
Vos scrupules font voir trop de délicatesse;
Et bien, manger moutons, canaille, sotte espèce,
Est-ce un péché ? Non, non. Vous leur fîtes Seigneur
En les croquant beaucoup d'honneur.
Et quant au Berger l'on peut dire
Qu'il était digne de tous maux,
Étant de ces gens-là qui sur les animaux
Se font un chimérique empire.
Ainsi dit le Renard, et flatteurs d'applaudir.
On n'osa trop approfondir
Du Tigre, ni de l'Ours, ni des autres puissances,
Les moins pardonnables offenses.
Tous les gens querelleurs, jusqu'aux simples mâtins,
Au dire de chacun, étaient de petits saints.
L'Âne vint à son tour et dit: J'ai souvenance
Qu'en un pré de Moines passant,
La faim, l'occasion, l'herbe tendre, et je pense
Quelque diable aussi me poussant,
Je tondis de ce pré la largeur de ma langue.
Je n'en avais nul droit, puisqu'il faut parler net.
A ces mots on cria haro sur le baudet.
Un Loup quelque peu clerc prouva par sa harangue
Qu'il fallait dévouer ce maudit animal,
Ce pelé, ce galeux, d'où venait tout leur mal.
Sa peccadille fut jugée un cas pendable.
Manger l'herbe d'autrui ! quel crime abominable!
Rien que la mort n'était capable
D'expier son forfait: on le lui fit bien voir.
Selon que vous serez puissant ou misérable,
Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.
Mal que le Ciel en sa fureur
Inventa pour punir les crimes de la terre,
La Peste (puisqu'il faut l'appeler par son nom)
Capable d'enrichir en un jour l'Achéron,
Faisait aux animaux la guerre.
Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés:
On n'en voyait point d'occupés
A chercher le soutien d'une mourante vie;
Nul mets n'excitait leur envie;
Ni Loups ni Renards n'épiaient
La douce et l'innocente proie.
Les Tourterelles se fuyaient:
Plus d'amour, partant plus de joie.
Le Lion tint conseil, et dit: Mes chers amis,
Je crois que le Ciel a permis
Pour nos péchés cette infortune;
Que le plus coupable de nous
Se sacrifie aux traits du céleste courroux,
Peut-être il obtiendra la guérison commune.
L'histoire nous apprend qu'en de tels accidents
On fait de pareils dévouements:
Ne nous flattons donc point; voyons sans indulgence
L'état de notre conscience.
Pour moi, satisfaisant mes appétits gloutons
J'ai dévoré force moutons.
Que m'avaient-ils fait? Nulle offense :
Même il m'est arrivé quelquefois de manger
Le Berger.
Je me dévouerai donc, s'il le faut; mais je pense
Qu'il est bon que chacun s'accuse ainsi que moi :
Car on doit souhaiter selon toute justice
Que le plus coupable périsse.
- Sire, dit le Renard, vous êtes trop bon Roi;
Vos scrupules font voir trop de délicatesse;
Et bien, manger moutons, canaille, sotte espèce,
Est-ce un péché ? Non, non. Vous leur fîtes Seigneur
En les croquant beaucoup d'honneur.
Et quant au Berger l'on peut dire
Qu'il était digne de tous maux,
Étant de ces gens-là qui sur les animaux
Se font un chimérique empire.
Ainsi dit le Renard, et flatteurs d'applaudir.
On n'osa trop approfondir
Du Tigre, ni de l'Ours, ni des autres puissances,
Les moins pardonnables offenses.
Tous les gens querelleurs, jusqu'aux simples mâtins,
Au dire de chacun, étaient de petits saints.
L'Âne vint à son tour et dit: J'ai souvenance
Qu'en un pré de Moines passant,
La faim, l'occasion, l'herbe tendre, et je pense
Quelque diable aussi me poussant,
Je tondis de ce pré la largeur de ma langue.
Je n'en avais nul droit, puisqu'il faut parler net.
A ces mots on cria haro sur le baudet.
Un Loup quelque peu clerc prouva par sa harangue
Qu'il fallait dévouer ce maudit animal,
Ce pelé, ce galeux, d'où venait tout leur mal.
Sa peccadille fut jugée un cas pendable.
Manger l'herbe d'autrui ! quel crime abominable!
Rien que la mort n'était capable
D'expier son forfait: on le lui fit bien voir.
Selon que vous serez puissant ou misérable,
Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.
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