jeudi 11 décembre 2025

LES ILLUSIONS AGRESSIVES D’UN PAYS EN DÉCOMPOSITION, LES USA

ÉTATS-UNIS
LES ILLUSIONS AGRESSIVES D’UN PAYS EN DÉCOMPOSITION
Depuis la diffusion de la nouvelle Stratégie de sécurité nationale américaine, il ne peut plus subsister de doute : les États-Unis veulent faire des Canadiens leurs vassaux et la menace dépasse largement Donald Trump et ses apparents délires, analyse l’essayiste Stephen Marche

STEPHEN MARCHE
ANIMATEUR DU BALADO GLOVES OFF ET AUTEUR DE THE NEXT CIVIL WAR

La dernière manifestation de folie des États-Unis prend la forme d’un document politique aride et plutôt fade : la nouvelle Stratégie de sécurité nationale1. L’insipidité de ce document et le fait qu’il soit le produit du gouvernement américain, et non le fruit des divagations inconscientes de Donald Trump, le rendent d’autant plus effrayant.
Ce document est empreint d’une pure malveillance envers l’ensemble du monde démocratique en général, et le Canada en particulier. Les États-Unis sont entrés dans une phase de décomposition où ils constituent un danger pour eux-mêmes et pour les autres.
Il y a encore au Canada des gens qui croient, ou peut-être espèrent, contre toute attente, que l’hostilité actuelle entre les États-Unis et le Canada est le résultat d’un seul individu qui a perdu la raison. Ce document montre clairement qu’une fois Trump parti, il restera assez d’Américains, disposant d’assez de pouvoir et suffisamment intégrés dans les institutions, pour faire des États-Unis la principale menace contre le Canada dans un avenir prévisible.
Nous ne sommes plus dans une situation où une série de tweets nocturnes délirants et dérangeants du roi pirate dément de la Maison-Blanche pourraient être simplement le résultat d’une mauvaise humeur passagère ou d’un spasme narcissique. Les forces militaires américaines, mariées à la politique MAGA, sont ouvertement et explicitement une force d’annexion du pays. Leur plan visant à « réaffirmer et à appliquer la doctrine Monroe » en contrôlant les « actifs stratégiquement vitaux », qui comprennent « l’accès continu à des emplacements stratégiques clés », doit être interprété pour ce qu’il est : une revendication de propriété sur tout ce que les Américains estiment devoir leur appartenir.
Les forces canadiennes doivent être détachées des forces américaines. Cela était déjà clair pour la plupart des observateurs canadiens. Aujourd’hui, cela ne fait plus aucun doute. Les Américains nous le disent explicitement. Ils veulent faire de nous leurs vassaux.
La bonne nouvelle, c’est que les forces américaines ont plus ou moins complètement perdu leur capacité à imposer leur volonté à quiconque, encore moins au Canada. Elles peuvent faire toutes les déclarations de Stratégie de sécurité nationale qu’elles veulent ; les États-Unis n’ont pas été en mesure d’atteindre un objectif de politique étrangère par la guerre depuis des générations.

L’APPAREIL SÉCURITAIRE CONFIÉ AUX « INFLUENCEURS »

Les États-Unis ont perdu leur dernière aventure face à une bande d’extrémistes religieux ignorants qui étaient tellement analphabètes sur le plan technologique qu’ils n’ont même pas réussi à regarder les fruits de leur terrorisme à la télévision. Les talibans ont dû écouter les reportages sur le 11-Septembre à la radio de la BBC dans une grotte afghane. Aujourd’hui, ils dirigent Kaboul.
Les forces américaines ressemblent un peu aux Cowboys de Dallas. Elles disposent d’installations magnifiques et d’une grande tradition, mais personne ne se souvient qu’elles aient jamais gagné.
Et c’est ce que la Stratégie de sécurité nationale américaine révèle plus que tout autre chose. C’est de la pornographie de guerre pour des incels impuissants. L’appareil sécuritaire des États-Unis a été confié aux influenceurs et aux têtes parlantes, et cela se voit.
La raison pour laquelle le secrétaire à la Défense, Pete Hegseth, a assassiné des équipages au hasard, qu’il a qualifiés de « narcoterroristes », au large des côtes du Venezuela, c’est que cela ressemble à quelque chose qu’il a entendu dire par une figure d’autorité dans un film. Les vrais hommes qui ont participé à de véritables combats, comme l’amiral quatre étoiles Alvin Holsey, ont dû étudier la guerre et les crimes de guerre. Voilà pourquoi Holsey a démissionné.

DE LA DISSENSION À PLUSIEURS NIVEAUX

La Stratégie de sécurité nationale parle fort et agit peu. C’est un appel désespéré à être pris au sérieux par une puissance en déclin qui abandonne actuellement toutes les politiques qui lui ont autrefois permis de dominer le monde : regardez comme nous sommes grands et forts, regardez mes muscles quand je les contracte.
L’évocation d’États vassaux est digne de tristes seigneurs de la guerre qui rêvent trop souvent à l’Empire romain. Les véritables bâtisseurs d’empires ne parlent pas ainsi. Ils parlent de zones de coopération économique pour une plus grande prospérité et une intégrité militaire mutuellement bénéfique. Ils dominent discrètement, de sorte que personne ne se rend compte de leur domination avant qu’il ne soit trop tard. Les Américains étaient comme ça autrefois.
Ce qui rend ce document encore plus absurde, c’est que ces grands projets d’hégémonie hémisphérique font la promotion d’une sorte d’objectif national extrêmement ambitieux alors même que la capacité des États-Unis à formuler des objectifs nationaux est en train de s’effriter ; ils ne parviennent même plus à assurer le bon fonctionnement de leur gouvernement. La dissension règne aujourd’hui aux États-Unis, et elle touche non seulement les systèmes politique et culturel, mais aussi les forces militaires américaines.
Comment allez-vous conquérir les Amériques alors que vos commandants les plus sérieux démissionnent et que le gouvernement purge les meilleurs parmi ceux qui restent ?
Il y a quelques jours, l’ancien ambassadeur des États-Unis en Russie Michael McFaul a publié ce message sur les réseaux sociaux : « À un moment où Trump a une cote de popularité très basse, où les démocrates remportent des élections, où beaucoup prédisent une vague bleue en 2026 et un président démocrate en 2028 et où une solide majorité d’Américains soutient l’OTAN, il serait imprudent d’être trop fataliste quant à la mort des relations transatlantiques à cause d’une Stratégie de sécurité nationale incohérente rédigée par un petit groupe au sein de l’administration Trump. Il faut jouer la carte du long terme. »
McFaul ne supporte bien sûr pas de voir s’effondrer l’œuvre de sa vie : la puissance américaine au service d’un ordre mondial fondé sur des règles. Mais il se fait des illusions, sans convaincre qui que ce soit. L’ordre mondial américain qu’il a tenté de construire est révolu. Le Canada doit jouer la carte du long terme, mais dans le cas des États-Unis, le long terme consiste à gérer leur effondrement. Et ce long terme pourrait bien être très court.
La Stratégie de sécurité nationale est un document d’une stupidité pure et absolue. Elle révèle des États-Unis qui se sont abandonnés à des fantasmes violents et se sont entièrement soumis à leurs illusions. Il ne s’agit plus seulement de Trump. Sa folie a contaminé une partie importante des grandes institutions du pays, qui doivent désormais être considérées comme des adversaires directs de la souveraineté nationale du Canada. 
Le fait que les aspirants seigneurs de la guerre américains soient délirants n’est pas rassurant. Ce sont toujours les délirants qui sont les plus dangereux.

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