dimanche 8 août 2010

Quelqu'un l'écoute-t-il?

La photo ne date pas d'un siècle mais le voilier, le campanile, le palais des doges, dans nos yeux, datent d'un âge plus lointain encore.
Arrêtons-nous à la fin du 19e siècle, un autre apogée de l'Europe qui allait bientôt accomplir un autre des suicides qu'elle répétera au 20e siècle (et qu'elle répète sans se lasser en élisant toutes les nullités qu'elle élit dans tous ses pays depuis 1970).
Arrêtons-nous à
Nietzsche qui s'adresse à une Venise qui ressemble un peu, en moins clair, en moins défini, à la Venise de la photo.
Un poème en allemand avec deux traductions françaises.
Mais pour un poème combien de traductions possibles? Je veux dire de lectures même quand il est dans la langue de son lecteur.
La poésie c'est la langue sans fin, la langue-dieu.

Venedig


An der Brücke stand

jüngst ich in brauner Nacht.

Fernher kam Gesang:

goldener Tropfen quoll's

über die zitternde Fläche weg.

Gondeln, Lichter, Musik —

trunken schwamm's in die Dämmrung hinaus...

Meine Selle, ein Saitenspiel,

sang sich, unsichtbar berührt,

heimlich ein Gondellied dazu,

zitternd vor bunter Seligkeit.

— Hörte Jemand ihr zu ?…

Friedrich Nietzsche

Venise

Accoudé au pont,

j'étais debout dans la nuit brune
De loin, un chant venait jusqu'à moi.
Des gouttes d'or ruisselaient
sur la face tremblante de l'eau.
Des gondoles, des lumières, de la musique.
Tout cela voguait vers le crépuscule.
Mon âme, l'accord d'une harpe,
se chantait à elle-même,
invisiblement touchée,
un chant de gondolier,
tremblante d'une béatitude diaprée.
— Quelqu'un l'écoute-t-il ?


Venise

Accoudé au pont,
J'étais dans la nuit sombre
Quand s'en vint un chant :
Deux gouttes d'or ruisselaient
Sur la tremblante surface,
Gondoles, lumières, musiques,
Cela flottait dans l'ivresse du crépuscule…

Mon âme, un accord de lyre,
Chantait pour elle, invisiblement touchée,
Un chant secret de gondolier,
Tremblant d'une félicité diaprée —
Mais quelqu'un l'écoutait-il ?

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