dimanche 5 juin 2011

Une histoire d'incarnation

À la page 77 de la traduction française de son plus récent roman (« La Petite Fille de ses rêves ») dont je vous ai dit mot ici, Donna Leon parle de cette « Crucifixion » du Tintoret qui se trouve à San Cassiano à Venise.
Voici ce qu'elle en dit par l'intermédiaire de son personnage principal, le commissaire Brunetti :

Arrivé au Campo San Cassiano, il prit le temps d'aller admirer la Crucifixion du Tintoret. L'ennui qui se dégageait de ce Christ artistiquement cloué sur sa croix, derrière une haie de lances séparant le tableau en deux parties, l'avait toujours frappé. Le Christ paraissait finalement reconnaître que cette histoire d'incarnation en être humain ne pouvait que mal finir, et avoir hâte de retrouver son poste divin.

Comme vous le voyez, l'auteure ou le traducteur s'est trompé car le Christ n'est pas crucifié « derrière une haie de lance s» mais devant.
Quant à l'ennui qui se dégage de ce Christ, j'avoue ne pas le voir. Il me faudra aller vérifier sur l'original.
J'ai agrandi la portion de la photo du tableau où il apparaît pour vous permettre de vous faire une opinion:


P.S. Évidemment, comme toujours quand une œuvre d'art est évoquée dans un roman (ou n'importe quel objet sur lequel il s'attarde), ce n'est pas l'objet qui importe primordialement mais ce à quoi il renvoie dans le roman. Ici ce Christ las de son incarnation renvoie au sentiment du commissaire Brunetti à l'égard de sa propre «incarnation» de policier italien dont toutes les enquêtes sont mises en échec dans le cadre d'«arrangements» faits pour protéger la mafia ou les classes dominantes italiennes ou vaticanes, ministres, hauts-fonctionnaires, membres du clergé ou de la police, possesseurs d'argent ou de titres de noblesse.
Le tableau du
Tintoret est une « mise en abyme » de la relation que le personnage principal du roman entretient avec la société italienne, sournoisement dominée par la fraude, le favoritisme et la criminalité, comme elle l'a toujours été du temps des césars, des papes, des rois, des doges et de la dictature fasciste, comme maintenant sous un régime soi-disant démocratique.
On pourrait d'ailleurs dire que, par l'intermédiaire de la papauté et de l'Église catholique, la manière italienne de fonctionner gangrène la Terre entière. La manière dont on a traité la crise des membres du clergé pédophiles dans divers pays (camouflage, chantage, prise d'otages, menaces, versement d'argent, etc.) est une manière italienne de faire.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Je suis allée visiter cette église car le côté spectaculaire du Tintoret m' y avait attirée et je me souvies très bien que la lumière est insuffisante et ne le met pas en valeur, qu' il est en hauteur et donc plus accessible sur reproduction. Ce que je ressens est davantage de l' ordre du détachement impassible plus oiental que latin, plus que de l' ennui, car si se faire trucider est ennuyeux je me demande ce qui peut procurer des sensations fortes...

Jack a dit…

Plus accessible sur reproduction! C'est intéressant comme remarque.

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