J'avais découpé , dans les années 70, une reproduction de cette gravure de Louise Scott intitulée «Les Ombrelles».
Elle avait paru dans un supplément de week-end de journaux québécois (était-ce «Perspectives»?).
Lorsqu'on m'a attribué le cours «Initiation à la sémiotique» au début des années quatre-vingt, je m'en suis servi pour étudier un processus sémiotique qui, selon moi, y est à l'œuvre, celui que je pourrais appeler processus d'«ovalisation»: observez bien, tout, dans cette gravure, tend à devenir ovale: les yeux, les vêtements (les manches , les jambes), les yeux, les têtes, les plantes, les pots, etc., même les ombrelles qui donnent leur titre à la gravure et qui, en principe, devraient être rondes.
Pour produire une ou plusieurs significations dans ce processus, il fallait avoir recours à la fonction poétique de Roman Jakobson*.
Cette fonction poétique s'énonce ainsi (c'est du langage spécialisé): «la projection du principe d'équivalence de l'axe de sélection sur l'axe de la combinaison».
Les éléments d'une œuvre quelconque (texte, image, pièce musicale, danse, film, etc.) ne sont pas là seulement parce qu'ils apparaissent habituellement ensemble dans la réalité (rapports de combinaison) ou ressemblent à des éléments de la réalité (ou ce qu'on pense être la réalité. Mais ce rapport de ressemblance à la réalité ne convient pas du tout à la musique par exemple) mais parce qu'ils se ressemblent entre eux (rapports de similitude propres à l'axe de sélection).
Parfois même, comme dans l'art non figuratif (appelé parfois art «abstrait») ou dans la musique, les éléments qui y sont présents ne sont pas là du tout parce qu'ils ressemblent à la réalité (ils ne ressemblent à rien de ce qui nous semble exister) mais seulement parce qu'ils se ressemblent entre eux, soit par leur couleur, soit par leur forme, soit par leur mode, soit par l'émotion qu'ils suscitent, etc.
Chacun des éléments, pour recourir à un vocabulaire et à une notion que vous avez déjà rencontrés dans ce blogue, est une «mise en abyme» des autres éléments ou d'un certain nombre d'autres éléments.
Ainsi, l'ovale dans «Les Ombrelles» de Louise Scott transforme chaque élément qui la porte en lui en «mise en abyme» des autres.
Ces «Ombrelles» m'ont tant plu d'ailleurs que je m'en suis procuré le 86e exemplaire (sur cent) au milieu des années quatre-vingt.
Ce qui nous préoccupe longtemps et qu'on étudie sans mesurer ni son temps ni son effort, un jour ou l'autre on l'aime: c'est peut-être là un des secrets de l'amour.
Un autre exemplaire est encore en vente là (hélas! Louise Scott est décédée l'année dernière (2007) et elle ne produira plus de ces œuvres qui me plaisent tant).
*Si le sujet vous intéresse, lire l'article «Linguistique et poétique» (page 209-248) dans Essais de linguistique générale de Roman Jakobson, Paris, Seuil, collection Points, 1970 (je conserve quelques-uns de mes vieux livres)
samedi 15 novembre 2008
L'Ovalisation dans «Les Ombrelles» de Louise Scott
heure 18:29:00
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