lundi 11 février 2008

La Vie interdite


Il n'y avait pas que «L'Index des livres interdits*» (article ici et liste ici) dressé à Rome au siège de l'Eglise catholique romaine mais il y avait des Index nationaux et des index régionaux (dits diocésains) des livres interdits. Tous ces index étaient, par nature, rétrogrades et celui du Vatican a toujours été risible.
À l'époque dont je parle (entre 1955 et 1970) l'Index québécois l'était encore plus. Encore davantage l'index du diocèse de Chicoutimi -dont l'évêque, Marius Paré, qualifiait le Collège de Jonquière où j'étudiais -pourtant dirigé par des Oblats de Marie-Immaculée- de «communiste» ou d'«athée».

À vrai dire, à l'exception des livres d'évêques (quand il s'en trouvait qui savaient écrire) bien en cour à Rome, tous les livres étaient interdits.
Dans chaque bibliothèque de collège ou de séminaire il y avait ce qu'on appelait un «enfer» où étaient rassemblés les livres interdits que possédait l'institution. Les prêtres ou les laïcs sûrs qui enseignaient la littérature y avaient accès. Des amis qui ont étudié dans un internat religieux m'ont dit que les prêtres pédophiles en prêtaient libéralement aux étudiants dont ils voulaient obtenir les faveurs.
Je voulais lire «Les Fleurs du Mal» de Charles Baudelaire, «Candide» et d'autre contes de Voltaire, «Émile ou de l'Éducation» de Jean-Jacques Rousseau, les «Oeuvres poétiques» de Nicolas Boileau.


Voici un tableau (1848) représentant Charles Baudelaire
par Gustave Courbet (cliquer pour zoomer)

Ces livres étaient entreposés à double tour dans l'«enfer» de la pourtant très garnie bibliothèque du Collège de Jonquière ou, peut-être, la bibliothèque ne les possédait-elle pas. En tous cas, impossible d'y avoir accès (le collège n'était pas un internat).
Mes parents aimants n'étaient pas instruits. J'avais eu accès dans une librairie (la Librairie régionale sur la rue Racine à Chicoutimi, pourtant bien surveillée par l'évêque lui-même ou par les sbires de l'évêché situé tout près? je ne sais pas) au catalogue des Classiques Garnier de France.
«Les Fleurs du Mal» , y avais-je lu, valaient 500 francs;«Romans et Contes» de Voltaire, 700; «Émile ou de l'Éducation», 700; Oeuvres poétiques de Nicolas Despréaux-Boileau, 500 francs. À l'époque un dollar canadien valait 500 francs. J'ai donc commandé directement chez Garnier en France ces 4 livres après avoir acheté un mandat postal de 2 900 francs (en dollars canadiens: 5,80$: le montant comprenait les frais d'expédition). Un mois et demi plus tard je recevais mes achats et pouvais accéder à la littérature, c'est-à-dire à la vie du péché et, par conséquent, de l'esprit: à la vie, à la vraie vie. Non à la vie éternelle qui est la mort: à notre vie, la seule vie qui existe et qu'on voulait nous empêcher de vivre.


* en latin: INDEX LIBRORVM PROHIBITORVM

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