jeudi 2 juillet 2009

On n'a jamais le temps de ne rien faire aussi longtemps qu'on le voudrait


Pour Baudelaire c'est «le fouet du plaisir» qui fait agir, des humains, « la multitude vile ». Dans « Recueillement » il écrit:


Pendant que des mortels la multitude vile,
Sous le fouet du Plaisir, ce bourreau sans merci,
Va cueillir des remords dans la fête servile...

Les choses me semblent avoir étrangement changé depuis le temps de Baudelaire.
Ainsi lorsque je parlais des jours bénis de ma retraite à mes ami(e)s et à mes compagnes et compagnons de travail chacun me demandait : « Mais quels sont tes projets de retraite ? »
Comme si on devait avoir des projets de retraite, comme on a un agenda ou un programme de travail quand on travaille.
Au début je ne savais quoi leur répondre. Pour moi la question ne se posait pas. Puis, à force d'y songer, j'ai trouvé la réponse à leur faire: « Je vais pratiquer le farniente ».
La véritable réponse aurait été: « J'ai le projet de ne rien faire ».
À quoi sert-il d'être à la retraite si c'est pour faire quelque chose, avoir des projets (ou même un projet) de retraite.
Je voulais, quant à moi, au gré de ma fantaisie, tour à tour, regarder les feuilles danser sur leur branche, lire quelques pages d'un livre ou d'une revue, me reposer un peu sur le sofa, aller voir au marché si un fruit ou un légume m'intéresserait, passer un long moment parmi les vins au magasin de la Société des alcools, aller au gym, me reposer encore un peu sur le sofa, appeler un ami, songer à quelques améliorations à apporter à notre intérieur (ou à notre extérieur), et recommencer : ne rien faire quoi!
Mais même sous le nom d'origine italienne que je donnais à mon projet, les gens ne pouvaient pas croire que je n'allais pas faire quelque chose, que je n'allais pas de quelque façon encore travailler.
Car ce n'est plus le plaisir, en notre temps, dont le fouet fait avancer la multitude vile (et même celle qui ne l'est pas) : c'est le travail !
Peut-être est-ce, plutôt que l'envie de travailler, la peur de rester avec soi seul, et de se trouver vide.
Conséquemment, comme j'ai pu le constater, le petit Calvin que je vous présente là-haut, -de la bande dessinée « Calvin et Hobbes »-, a raison: « On n'a jamais le temps de ne rien faire aussi longtemps qu'on le voudrait ».
La phrase originale anglaise était celle-ci: « There’s never enough time to do all the nothing you want ».
(Quelle belle phrase d'enfant en anglais: la traduction littérale serait: « Il n'y a jamais assez de temps pour faire tout le rien qu'on désire* »).
Une autre traduction aurait pu être celle-ci: « Il n'y a jamais assez de temps pour accomplir tout le farniente qu'on désirerait ».
Cela irait davantage dans le sens du pseudo programme de retraite que je prétendais avoir.
Mais l'idéologie du travail est si forte -même en moi- que lorsque ma femme a dit aux gens qui demandaient des nouvelles de moi et de mes activités de retraite que je passais mes journées « à faire la patate sur le sofa » (quelle métaphore vulgaire et comme elle ne rendait pas du tout compte de mes intenses activités de farniente !), j'ai dû improviser une activité de retraite : ce blogue.
De telle sorte que je n'ai plus du tout le temps de ne rien faire.

* Et en outre cette traduction fait un clin d'œil ironique à la phrase: «
Il n'y a jamais assez de temps pour faire tout le bien qu'on désire ». Comme pour s'en moquer. Que d'esprit !

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire