Ce qui a orienté mon esprit vers la poésie et, donc, vers la littérature dont la poésie est le fondement, c'est cet échange que j'ai fait en première année du primaire avec mon ami Claude Lavoie (celui-là même qui a pris la photo de moi à 18 ans de la note intitulée «Le Cabaret du soir qui penche»). Je lui ai échangé un microscope que j'avais eu comme cadeau de Noël contre la Petite Anthologie des poètes français de la librairie Nelson. J'ai retrouvé une photo de la page couverture de cette anthologie sur Internet. C'est la première fois que je vois cette page couverture car elle manquait à l'exemplaire que m'a échangé Claude (le microscope-jouet de l'échange ne fonctionnait quant à lui pas très bien).
Je me suis plongé dans la lecture de quelques poèmes et me suis acharné pendant les années (disons l'année) qui ont (a) suivi car au début je ne comprenais pas comment fonctionnaient les vers.
Une fois découvert le secret des vers (j'aimais particulièrement à cette époque «Le Lac» de Lamartine que je vais vous afficher à la fin de cette note), je me suis mis à lire des romans -des romans policiers puis des romans d'amour -parfois grivois- qui n'appartenaient même pas à la littérature (était-ce des IXE-13 ?). Mais mon inclination pour la littérature a été confirmée quand mon ami Jacques Tremblay, à l'adolescence, m'a donné en cadeau les Poésies d'Arthur Rimbaud dans le Livre de poche (voir la jaquette ci-contre: le dessin représentant Rimbaud avec une pipe est de Paul Verlaine -qui était l'amant de Rimbaud à cette époque comme on le sait chez les littéraires).
Ce recueil -et tout Rimbaud- était encore à l'Index, c'est-à-dire qu'aucun Catholique ne pouvait le lire sans la permission d'un évêque ou à tout le moins d'un prêtre (c'était un péché grave que de le faire sans cette permission -j'ai l'intention de faire une note au sujet des livres à l'Index bientôt). Mais ce n'était pas le premier péché grave que je commettais (j'avais 12 ou 13 ans à l'époque) ni le plus plaisant et je commençais à m'habituer à être en état de péché.
Ainsi, toujours poussés vers de nouveaux rivages,
Dans la nuit éternelle emportés sans retour,
Ne pourrons-nous jamais sur l’océan des âges
Jeter l’ancre un seul jour ?
Ô lac ! l’année à peine a fini sa carrière,
Et près des flots chéris qu’elle devait revoir,
Regarde ! je viens seul m’asseoir sur cette pierre
Où tu la vis s’asseoir !
Tu mugissais ainsi sous ces roches profondes ;
Ainsi tu te brisais sur leurs flancs déchirés ;
Ainsi le vent jetait l’écume de tes ondes
Sur ses pieds adorés.
Un soir, t’en souvient- il ? nous voguions en silence ;
On n’entendait au loin, sur l’onde et sous les cieux,
Que le bruit des rameurs qui frappaient en cadence
Tes flots harmonieux.
Tout à coup des accents inconnus à la terre
Du rivage charmé frappèrent les échos ;
Le flot fut attentif, et la voix qui m’est chère
Laissa tomber ces mots :
« Ô temps, suspends ton vol ! et vous, heures propices,
Suspendez votre cours !
Laissez-nous savourer les rapides délices
Des plus beaux de nos jours !
« Assez de malheureux ici-bas vous implorent :
Coulez, coulez pour eux ;
Prenez avec leurs jours les soins qui les dévorent ;
Oubliez les heureux.
« Mais je demande en vain quelques moments encore,
Le temps m’échappe et fuit ;
Je dis à cette nuit : ‹ Sois plus lente › ; et l’aurore
Va dissiper la nuit.
« Aimons donc, aimons donc ! de l’heure fugitive,
Hâtons-nous, jouissons !
L’homme n’a point de port, le temps n’a point de rive ;
Il coule, et nous passons ! »
Temps jaloux, se peut-il que ces moments d’ivresse,
Où l’amour à longs flots nous verse le bonheur,
S’envolent loin de nous de la même vitesse
Que les jours de malheur ?
Hé quoi ! n’en pourrons-nous fixer au moins la trace ?
Quoi ! passés pour jamais ? quoi! tout entiers perdus ?
Ce temps qui les donna, ce temps qui les efface,
Ne nous les rendra plus ?
Éternité, néant, passé, sombres abîmes,
Que faites-vous des jours que vous engloutissez ?
Parlez : nous rendrez-vous ces extases sublimes
Que vous nous ravissez ?
Ô lac! rochers muets ! grottes! forêt obscure !
Vous que le temps épargne ou qu’il peut rajeunir,
Gardez de cette nuit, gardez, belle nature,
Au moins le souvenir !
Qu’il soit dans ton repos, qu’il soit dans tes orages,
Beau lac, et dans l’aspect de tes riants coteaux,
Et dans ces noirs sapins, et dans ces rocs sauvages
Qui pendent sur tes eaux !
Qu’il soit dans le zéphyr qui frémit et qui passe,
Dans les bruits de tes bords par tes bords répétés,
Dans l’astre au front d’argent qui blanchit ta surface
De ses molles clartés!
Que le vent qui gémit, le roseau qui soupire,
Que les parfums légers de ton air embaumé,
Que tout ce qu’on entend, l’on voit ou l’on respire,
Tout dise : « Ils ont aimé ! »
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