samedi 1 novembre 2025

Peut-on voir autrui clairement, ou seulement à travers le voile de nos propres désirs ?

Iris Murdoch vivait entre deux mondes : le domaine rigoureux de la philosophie et le territoire sauvage de la fiction. Elle refusait de choisir entre les deux. Née à Dublin en 1919, elle passa sa vie à se poser la même question, exprimée dans différentes langues : comment devenir bon ?

À Oxford, elle était une philosophe de renom, enseignant Platon et l’éthique pendant plus de trente ans. Mais la philosophie ne lui suffisait pas. Il lui fallait des histoires pour saisir ce que la logique ne pouvait appréhender : le chaos complexe, irrationnel et pourtant magnifique de la condition humaine. Alors, elle écrivit des romans. Vingt-six au total. Chacun était un labyrinthe de relations inextricables, de dilemmes moraux et de personnages qui pensaient se comprendre, mais qui se trompaient.

Sa vie personnelle était tout aussi complexe. Elle épousa John Bayley, un collègue professeur à Oxford, en 1956, et ils vécurent un amour profond et singulier. Mais Iris eut aussi des liaisons passionnées avec des hommes et des femmes tout au long de leur mariage : certaines éphémères, d’autres profondes. Elle considérait l'amour comme un art, une force capable de sauver comme de détruire, et elle l'a exploré sans relâche dans son œuvre.

Dans « La Mer, la Mer », lauréat du Booker Prize en 1978, un metteur en scène vieillissant se retire sur la côte, persuadé de pouvoir reconquérir son premier amour et donner un nouveau sens à sa vie. Il découvre alors que les êtres humains sont incontrôlables, insaisissables et insondables. Un roman typique de Murdoch : philosophique, absurde et bouleversant.

Durant ses dernières années, la maladie d'Alzheimer a peu à peu effacé son esprit brillant. John a relaté son déclin avec une tendresse poignante dans un récit autobiographique qui a inspiré le film « Iris ». Mais avant de se taire, elle a laissé derrière elle une œuvre qui nous interpelle encore aujourd'hui : peut-on aimer sans se consumer ? Peut-on voir autrui clairement, ou seulement à travers le voile de nos propres désirs ?