Une découverte poétique à mon adolescence, celle du poème sur le bonheur de Paul Fort (ci-dessus).
Je l'avais d'abord entendu (bien avant de le lire) sur un disque 33 tours (appelé aujourd'hui «vinyle»), à la suite d'un certain nombre de poèmes romantiques et symbolistes («Le Lac», «Tristesse d'Olympio», du Rimbaud («On n'est pas sérieux quand on a dix-sept ans/Et qu'on a des tilleuls verts sur la promenade») etc.
Il ne détonnait pas, il était composé d'heptasyllabes (vers de 7 syllabes) mais Verlaine en avait fait (sans parler de Charles d'Orléans, Rutebeuf et autres poètes médiévaux): c'était le Symbolisme.
Je croyais plus profonds les poèmes discursifs du Romantisme majeur (Lamartine, Hugo, Vigny, Musset, c'était les 4 poètes romantiques majeurs selon les historiens de la littérature de l'époque -voyez le Lagarde et Michard du XIXe siècle-, les autres (Nerval, Gautier, Desbordes-Valmore et tutti quanti étaient des poètes mineurs: quelle différence avec les classements d'aujourd'hui!).
Mais le poème de Paul Fort était une charmante bluette (pensais-je, comme les autres «Ballades françaises») mais qui faisait un peu penser.
Le voici:
Le bonheur est dans le pré. Cours-y vite, cours-y vite. Le bonheur est dans le pré. Cours-y vite. Il va filer.
Si tu veux le rattraper, cours-y vite, cours-y vite. Si tu veux le rattraper, cours-y vite. Il va filer.
Dans l'ache et le serpolet, cours-y vite, cours-y vite. Dans l'ache et le serpolet, cours-y vite. Il va filer.
Sur les cornes du bélier, cours-y vite, cours-y vite. Sur les cornes du bélier, cours-y vite. Il va filer.
Sur le flot du sourcelet, cours-y vite, cours-y vite. Sur le flot du sourcelet, cours-y vite. Il va filer.
De pommier en cerisier, cours-y vite, cours-y vite. De pommier en cerisier, cours-y vite. Il va filer.
Saute par-dessus la haie, cours-y vite, cours-y vite. Saute par-dessus la haie, cours-y vite. Il a filé!
C'est à la lecture qu'il étonne: des vers qui sont placés comme des lignes de prose.
C'est la raison pour laquelle je l'ai longtemps négligé. Je préférais des vers qui ressemblaient à des vers.
Aujourd'hui je vois sa profondeur. Je la ressens: je vois le rapport entre la structure des lignes et le contenu du poème. Je vois que c'est un faire (véritable poésie) conjugué étroitement avec un dire et vice-versa.
C'est de la grande poésie.
Et je vois sa place dans l'évolution de la littérature: il s'agissait pour la poésie d'annexer la prose et de faire en sorte que toute littérature devienne poésie.
De telle sorte que la construction des romans comme «À la recherche du temps perdu» soit fondée sur les mêmes lois que la construction d'un poème: des rimes mais des rimes plus vastes, des rimes de contenu aussi bien que des rimes de phrases, de paragraphes, de chapitres. Des rimes de thèmes, de personnages, de lieux, de paysages. etc.
(Les romans les plus grands étaient déjà construits ainsi mais on ne s'en apercevait pas, on ne regardait que le déroulement de l'histoire, l'intrigue).
Voici un pré (il est près de chez moi) où le bonheur n'est plus, il a filé, ou (j'espère) il s'est métamorphosé en l'une de ces fleurs banales qui nous «contaminera» peut-être quand, par hasard, nous l'effleurerons.
Courons vite!
dimanche 21 juin 2009
Poésie surprise
heure 12:31:00
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire