En me mettant au lit, je lis toujours au moins quelques lignes.
Pas des lignes d'un roman.
Même «À la recherche du temps perdu», je ne sais pourquoi, m'empêche de glisser doucement vers le sommeil.
Je lis des vers.
Il n'y a pas de suspense dans les vers, du moins dans ceux que je lis.
Ces temps-ci, je lis des vers ou des poèmes en prose de Borges dans les nouvelles «Pléiade» que j'ai reçues à Noël et à mon anniversaire.
La semaine dernière j'ai feuilleté le recueil de «Poésies» d'André Chénier dans la collection Poésie/Gallimard.
Et je suis tombé sur des vers qui m'ont profondément troublé.
C'était «Sur la mort d'un enfant».
Nous avons tous peur de la mort d'un enfant, le comble de l'injustice.
Mais ces vers m'ont rappelé la mort de ma petite sœur Ginette, morte à un an quand j'en avais deux.
Je me souviens d'elle, de quelques-uns de nos jeux pendant sa courte vie, et du jour de sa mort, aussi brusque qu'inattendue.
C'était en 1947, il y a plus de soixante ans.
Sans doute cette mort m'a-t-elle profondément frappé.
Pour des raisons freudiennes que vous savez.
J'ai eu aussi un frère qui est mort le jour de sa naissance, mais il éveille moins d'émotions chez moi car je l'ai à peine aperçu le jour de sa naissance qui a été le jour de sa mort.
C'est de la mort de ma sœur et de ma sœur que le poème de Chénier a ressuscité le souvenir et le chagrin.
Vous voyez là-haut la seule photo qui subsiste d'elle: elle est au bord de l'escalier du 150 rue Saint-Charles à Jonquière. Une sœur de ma mère, tante Gertrude, se tient derrière elle pour éviter une éventuelle chute, pendant que ma mère la photographie, avec moi à son côté.
Ce billet sera son véritable tombeau.
Plus durable que mon cœur peut-être.
Voici le poème:
L'innocente victime, au terrestre séjour,
N'a vu que le printemps qui lui donna le jour.
Rien n'est resté de lui qu'un nom, un vain nuage,
Un souvenir, un songe, une invisible image.
Adieu, fragile enfant échappé de nos bras ;
Adieu, dans la maison d'où l'on ne revient pas.
Nous ne te verrons plus, quand de moissons couverte
La campagne d'été rend la ville déserte ;
Dans l'enclos paternel nous ne te verrons plus,
De tes pieds, de tes mains, de tes flancs demi-nus,
Presser l'herbe et les fleurs dont les nymphes de Seine
Couronnent tous les ans les coteaux de Lucienne.
L'axe de l'humble char à tes jeux destiné,
Par de fidèles mains avec toi promené,
Ne sillonnera plus les prés et le rivage.
Tes regards, ton murmure, obscur et doux langage,
N'inquiéteront plus nos soins officieux ;
Nous ne recevrons plus avec des cris joyeux
Les efforts impuissants de ta bouche vermeille
A bégayer les sons offerts à ton oreille.
Adieu, dans la demeure où nous nous suivrons tous,
Où ta mère déjà tourne ses yeux jaloux.
2 commentaires:
En guise de commentaires je vous laisse quelques larmes.
J'en avais moi-même versé en lisant l'élégie de Chénier.
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