mardi 14 avril 2009

L'Auteur du petit chat noir

Quatrième et dernier élément du diaporama (clic ici pour l'atteindre) du «Magazine Littéraire» dont je vous ai parlé .
C'est Colette qui a tant écrit sur les animaux, les chats en particulier.
J'ai l'habitude de citer des poèmes mais voici de la prose qui, brève, n'en dit pas moins long (les poèmes de Bukowski n'étaient-ils pas au fond de la prose brève, et, parfois, plus longue qu'elle n'en disait?).
Il s'agit du monologue d'un petit chat noir:

Le Petit Chat noir

J'ai peu vécu de la vie terrestre, où j'étais noir. Noir entièrement, sans tâche blanche au poitrail, ni étoile blanche au front. Je n'avais même pas ces trois ou quatre poils blancs, qui poussent aux chats noirs dans le creux de la gorge, sous le menton. Robe rase, mate, drue, queue maigre et capricieuse, l'oeil oblique et couleur de verjus, un vrai chat noir.

Mon plus lointain souvenir remonte à une demeure où je rencontrai, venant à moi du fond d'une salle longue et sombre, un petit Chat blanc; quelque chose d'inexplicable me poussa au-devant de lui, et nous nous arrêtâmes nez à nez. Il fit un saut en arrière, et je fis un saut en arrière en même temps. Si je n'avais pas sauté ce jour-là, peut-être vivrais-je encore dans le monde des couleurs, des sons et des formes tangibles.

Mais je sautais, et le Chat blanc crut que j'étais son ombre noire. En vain j'entrepris, par la suite, de le convaincre que je possédais une ombre bien à moi. Il voulait que je ne fusse que son ombre, et que j'imitasse sans récompense tous ses gestes. S'il dansait je devais danser, et boire s'il buvait, manger s'il mangeait, chasser son propre gibier. Mais je buvais l'ombre de l'eau, et je mangeais l'ombre de la viande, et je me morfondais à l'affût sous l'ombre de l'oiseau...

Le Chat blanc n'aimait pas mes yeux verts, qui refusaient d'être l'ombre de ses yeux bleus. Il les maudissait, en les visant de la griffe. Alors je les fermais, et je m'habituais à ne regarder que l'ombre qui régnait derrière mes paupières.

Mais c'était là une pauvre vie pour un petit Chat noir. Par les nuits de lune je m'échappais et je dansais faiblement devant le mur blanc, pour me repaître de la vue d'une ombre mienne, mince et cornue, à chaque lune plus mince, et encore plus mince, qui semblait fondre...

C'est ainsi que j'échappai au petit Chat blanc. Mais mon évasion est une image confuse. Grimpai-je le long du rayon de lune ? Me cloîtrai-je à jamais derrière mes paupières verrouillées ? Fus-je appelé par l'un des chats magiques qui émergent du fond des miroirs ? Je ne sais. Mais désormais le Chat blanc croit qu'il a perdu son ombre, la cherche, et longuement l'appelle; Mort, je ne goûte pourtant pas le repos, car je doute. Peu à peu s'éloigne de moi la certitude que je fus un vrai chat, et non pas l'ombre, la moitié nocturne, le noir envers du chat blanc.

4 commentaires:

orfeenix a dit…

Sans vouloir faire de l' anthropomorphisme,quelle magnifique allégorie du rapport de force entre dominant et dominé!

Jack a dit…

Quand les humains font parler les animaux (ou les dieux ou les extraterrestres aussi bien) ils font nécessairement de l'anthropomorphisme, je crois.
Et les animaux quand ils font parler les humains font sans doute du zoomorphisme.
Croyez-vous qu'il y a quelqu'un qui pratique le «théomorphisme»?

Jack a dit…

Quant à moi, j'ai bien peur de pratiquer le «jacobomorphisme», hélas!

orfeenix a dit…

j' ai bien peur que tous les fanatiques religieux soient atteints de théomorphisme, quant à être soi même et raconter le monde transfiguré par son propre regard, qu' y a t il de mieux à faire?

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