Le château de Combourg,
résidence d'enfance de Chateaubriand
Tirées du magazine « Books » (ici), les réflexions lyriques de Chateaubriand, dans les Mémoires d'outre-tombe, sur l'automne, dont, incidemment, on célèbre l'arrivée aujourd'hui (23 septembre 2015) :
Plus la saison était triste, plus elle était en rapport avec moi : le temps des frimas, en rendant les communications moins faciles, isole les habitants des campagnes : on se sent mieux à l’abri des hommes.
Un caractère moral s’attache aux scènes de l’automne : ces feuilles qui tombent comme nos ans, ces fleurs qui se fanent comme nos heures, ces nuages qui fuient comme nos illusions, cette lumière qui s’affaiblit comme notre intelligence, ce soleil qui se refroidit comme nos amours, ces fleuves qui se glacent comme notre vie, ont des rapports secrets avec nos destinées. Je voyais avec un plaisir indicible le retour de la saison des tempêtes, le passage des cygnes et des ramiers, le rassemblement des corneilles dans la prairie de l’étang, et leur perchée à l’entrée de la nuit sur les plus hauts chênes du grand Mail. Lorsque le soir élevait une vapeur bleuâtre au carrefour des forêts, que les complaintes ou les lais du vent gémissaient dans les mousses flétries, j’entrais en pleine possession des sympathies de ma nature. Rencontrais-je quelque laboureur au bout d’un guéret ? Je m’arrêtais pour regarder cet homme germé à l’ombre des épis parmi lesquels il devait être moissonné, et qui retournant la terre de sa tombe avec le soc de la charrue, mêlait ses sueurs brûlantes aux pluies glacées de l’automne : le sillon qu’il creusait était le monument destiné à lui survivre. Que faisait à cela mon élégante démone ? Par sa magie, elle me transportait au bord du Nil, me montrait la pyramide égyptienne noyée dans le sable, comme un jour le sillon armoricain caché sous la bruyère : je m’applaudissais d’avoir placé les fables de ma félicité hors du cercle des réalités humaines. Le soir je m’embarquais sur l’étang, conduisant seul mon bateau au milieu des joncs et des larges feuilles flottantes du nénuphar. Là, se réunissaient les hirondelles prêtes à quitter nos climats. Je ne perdais pas un seul de leurs gazouillis : Tavernier enfant était moins attentif au récit d’un voyageur. Elles se jouaient sur l’eau au tomber du soleil, poursuivaient les insectes, s’élançaient ensemble dans les airs, comme pour éprouver leurs ailes, se rabattaient à la surface du lac, puis se venaient suspendre aux roseaux que leur poids courbait à peine, et qu’elles remplissaient de leur ramage confus.
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