dimanche 7 septembre 2025

Des Français conquis depuis 80 ans et toujours français selon Tocqueville


Illustration : John B. Wilkinson (1838-1915), 
Villégiateurs sur la plage près de La Malbaie, 1871,
galerie Éric Klinkhoff.

« Voilà des Français mêlés depuis 80 ans à une population anglaise (...) eh bien ! Ce sont encore des Français trait pour trait ! »

« Ce qui nous a intéressés le plus vivement au Canada, ce sont ses habitants. Je m’étonne que ce pays soit si inconnu en France. Il n’y a pas six mois, je croyais, comme tout le monde, que le Canada était devenu complètement anglais. J’en étais toujours resté au relevé de 1763, qui n’en portait la population française qu’à 60 000 personnes. Mais depuis ce temps, le mouvement d’accroissement a été là aussi rapide qu’aux États-Unis, et aujourd’hui il y a dans la seule province du Bas-Canada 600 000 descendants de Français.

Je vous réponds qu’on ne peut leur contester leur origine. Ils sont aussi Français que vous et moi. Ils nous ressemblent même bien plus que les Américains des États-Unis ne ressemblent aux Anglais. Je ne puis vous exprimer quel plaisir nous avons éprouvé à nous retrouver au milieu de cette population. Nous nous sentions chez nous, et partout on nous recevait comme des compatriotes, enfants de la « vieille France » comme ils l’appellent.

À mon avis, l’épithète est mal choisie. La vieille France est au Canada ; la nouvelle est chez nous. Nous avonsg retrouvé là, surtout dans les villages éloignés des villes, les anciennes habitudes, les anciennes mœurs françaises. Autour d’une église, surmontée d’un coq et de la croix fleurdelisée, se trouvent groupées les maisons du village : car le propriétaire canadien n’aime point s’isoler sur sa terre comme l’Anglais ou l’Américain des États-Unis. Ces maisons sont bien bâties, solides au dehors, propres et soignées au-dedans. (…)
Voilà des Français mêlés depuis 80 ans à une population anglaise ; soumis aux lois de l’Angleterre, plus séparés de la mère patrie que s’ils habitaient aux antipodes. Eh bien ! Ce sont encore des Français trait pour trait ; non pas seulement les vieux, mais tous, jusqu’au bambin qui fait tourner sa toupie. Comme nous, ils sont vifs, alertes, intelligents, railleurs, emportés, grands parleurs et fort difficiles à conduire quand leurs passions sont allumées. Ils sont guerriers par excellence et aiment le bruit plus que l’argent. À côté, et nés comme eux dans le pays, se trouvent des Anglais flegmatiques et logiciens comme aux abords de la Tamise. »

Lettre d’Alexis de Tocqueville à l’abbé Lesueur, 7 septembre 1831.

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