(Note préliminaire : j'ai déjà publié ce billet en 2009. Mais hier, voulant lui apporter quelques modifications esthétiques, je l'ai presque perdu : je le republie donc ici, parce qu'il me plaît encore)
En revenant d'Écosse nous avons fait le pèlerinage du « Lake District » dans le nord-ouest de l'Angleterre.
Rien ne peut davantage donner une idée de l'atmosphère de cette région que les deux photos que je vous présente ci-dessus : un calme lac avec de la brume dans le lointain sur des montagnes aux sommets arrondis; des cygnes qui nagent doucement.
J'ai d'ailleurs l'impression que l'addition de ces deux photos arrive à former l'image que les Anglais se font de leur pays, image qui est exacte si on excepte les grandes villes.
Paix, brume et douceur.
Je parle naturellement des Anglais qui sont restés en Angleterre et qui n'ont jamais songé à en partir.
Ces Anglais-là sont sans doute les survivants des Romano-Celtes que les Anglo-Saxons n'ont pas réussi à exterminer totalement lors de leur violente invasion de la Britannia.
Les Anglais qui se sont répandus à travers le monde pour satisfaire leur appétit de meurtre et de violence (et de conversion forcée à leur inguérissable puritanisme), et que nous connaissons bien en Amérique pour les subir depuis quelques siècles, appartenaient plutôt aux tribus anglo-saxonnes (accrues du cruel apport des tribus normandes à partir de la conquête de 1066), toujours prêtes à s'emparer avec rage des vies et des biens et pays d'autrui.
C'est pour le malheur du monde mais pour le bien de l'Angleterre qu'ils ont quitté leur île.
Comme je le disais à nos compagnes et compagnons de voyage : « Tous les méchants l'ont quittée, les bons sont restés ».
Le « Lake District » m'apparaît donc comme une quintessence de l'Angleterre douce et romantique de ceux qui y sont restés.
C'est d'ailleurs là que se sont manifestés ces poètes qu'on a surnommés les « lakistes » : William Wordsworth (portrait ci-contre),
Coleridge (père et fils), Robert Southey, etc.
On parle même parfois de Walter Scott comme appartenant aux « lakistes ».
Nous avons visité la tombe de Wordsworth dans le cimetière de cette petite église typique de la campagne anglaise (une petite église de style gothique alors que le gothique partout ailleurs en Europe est plutôt le style des cathédrales) : St. Oswald’s Church (page en anglais au bout de ce lien), à Grasmere.
La voici, suivie de la pierre tombale du poète (elle est dans le cimetière voisin de l'église) :
La poésie de Wordsworth, quand on y a accès sans une connaissance littéraire de la langue anglaise, semble plutôt prosaïque que poétique : des petites gens, des petits paysages, des petites fleurs, c'est ce qui me semble constituer le contenu de cette poésie.
Mais la poésie n'est jamais d'abord un contenu : elle est musique, rapports entre les mots qu'elle utilise, et rapports culturels plutôt que linguistiques, rapports affectifs, rapports intertextuels avec les autres poèmes écrits dans la même langue, etc.
J'ai essayé de traduire un poème de Wordsworth que je vous présente :
She dwelt among th'untrodden ways
Beside the springs of Dove,
A Maid whom there were none to praise
And very few to love ;
A violet by a mossy stone
Half hidden from the eye !
Fair as a star, when only one
Is shining in the sky.
She lived unknown, and few could know
When Lucy ceased to be ;
But she is in her grave, and, oh,
The difference to me !
Elle habitait des chemins perdus
Au-delà des sources de la Dove,
Cette jeune femme que personne n'appréciait
Et que très peu de gens aimaient ;
C'était une violette dans la mousse
À peine visible aux regards!
Brillante comme une étoile
Qui scintille dans le ciel solitaire.
Elle vivait inconnue et peu l'ont su
Quand Lucy a cessé de vivre ;
Mais elle est dans sa tombe et, oh,
Rien pour moi n'est comme avant !
Cela sonne plutôt comme les poèmes de Sainte-Beuve (Vie, poésies et pensées de Joseph Delorme) : prosaïsme, vie gâchée, etc.
Mais Baudelaire admirait la poésie de Sainte-Beuve (pas toujours de manière intéressée mais parfois désintéressée) et quelques poèmes des « Fleurs du mal » sont des tentatives réussies pour donner à la poésie prosaïque ce supplément d'âme qui manque aux poèmes du célèbre critique.
Je crois que le poème de Baudelaire vous donnera une idée plus précise que ma traduction du poème de Wordsworth de la poésie des « lakistes » :
La servante au grand cœur dont vous étiez jalouse,
Et qui dort son sommeil sous une humble pelouse,
Nous devrions pourtant lui porter quelques fleurs.
Les morts, les pauvres morts, ont de grandes douleurs,
Et quand octobre souffle, émondeur des vieux arbres,
Son vent mélancolique à l'entour de leurs marbres,
Certes, ils doivent trouver les vivants bien ingrats,
À dormir, comme ils font, chaudement dans leurs draps,
Tandis que, dévorés de noires songeries,
Sans compagnon de lit, sans bonnes causeries,
Vieux squelettes gelés travaillés par le ver,
Ils sentent s'égoutter les neiges de l'hiver
Et le siècle couler, sans qu'amis ni famille
Remplacent les lambeaux qui pendent à leur grille.
Lorsque la bûche siffle et chante, si le soir,
Calme, dans le fauteuil je la voyais s'asseoir,
Si, par une nuit bleue et froide de décembre,
Je la trouvais tapie en un coin de ma chambre,
Grave, et venant du fond de son lit éternel
Couver l'enfant grandi de son œil maternel,
Que pourrais-je répondre à cette âme pieuse,
Voyant tomber des pleurs de sa paupière creuse ?
Quoi qu'il en soit notre excursion sur le navire que vous voyez ci-dessous sur le lac Windermere nous a, quant à elle, paru pleine de cette poésie que nous ne pouvions pas, par manque d'expériences et de culture anglaises, trouver dans les mots des poèmes.
En revenant d'Écosse nous avons fait le pèlerinage du « Lake District » dans le nord-ouest de l'Angleterre.
Rien ne peut davantage donner une idée de l'atmosphère de cette région que les deux photos que je vous présente ci-dessus : un calme lac avec de la brume dans le lointain sur des montagnes aux sommets arrondis; des cygnes qui nagent doucement.
J'ai d'ailleurs l'impression que l'addition de ces deux photos arrive à former l'image que les Anglais se font de leur pays, image qui est exacte si on excepte les grandes villes.
Paix, brume et douceur.
Je parle naturellement des Anglais qui sont restés en Angleterre et qui n'ont jamais songé à en partir.
Ces Anglais-là sont sans doute les survivants des Romano-Celtes que les Anglo-Saxons n'ont pas réussi à exterminer totalement lors de leur violente invasion de la Britannia.
Les Anglais qui se sont répandus à travers le monde pour satisfaire leur appétit de meurtre et de violence (et de conversion forcée à leur inguérissable puritanisme), et que nous connaissons bien en Amérique pour les subir depuis quelques siècles, appartenaient plutôt aux tribus anglo-saxonnes (accrues du cruel apport des tribus normandes à partir de la conquête de 1066), toujours prêtes à s'emparer avec rage des vies et des biens et pays d'autrui.
C'est pour le malheur du monde mais pour le bien de l'Angleterre qu'ils ont quitté leur île.
Comme je le disais à nos compagnes et compagnons de voyage : « Tous les méchants l'ont quittée, les bons sont restés ».
Le « Lake District » m'apparaît donc comme une quintessence de l'Angleterre douce et romantique de ceux qui y sont restés.
C'est d'ailleurs là que se sont manifestés ces poètes qu'on a surnommés les « lakistes » : William Wordsworth (portrait ci-contre),
Coleridge (père et fils), Robert Southey, etc.
On parle même parfois de Walter Scott comme appartenant aux « lakistes ».
Nous avons visité la tombe de Wordsworth dans le cimetière de cette petite église typique de la campagne anglaise (une petite église de style gothique alors que le gothique partout ailleurs en Europe est plutôt le style des cathédrales) : St. Oswald’s Church (page en anglais au bout de ce lien), à Grasmere.
La voici, suivie de la pierre tombale du poète (elle est dans le cimetière voisin de l'église) :
Mais la poésie n'est jamais d'abord un contenu : elle est musique, rapports entre les mots qu'elle utilise, et rapports culturels plutôt que linguistiques, rapports affectifs, rapports intertextuels avec les autres poèmes écrits dans la même langue, etc.
J'ai essayé de traduire un poème de Wordsworth que je vous présente :
She dwelt among th'untrodden ways
Beside the springs of Dove,
A Maid whom there were none to praise
And very few to love ;
A violet by a mossy stone
Half hidden from the eye !
Fair as a star, when only one
Is shining in the sky.
She lived unknown, and few could know
When Lucy ceased to be ;
But she is in her grave, and, oh,
The difference to me !
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Elle habitait des chemins perdus
Au-delà des sources de la Dove,
Cette jeune femme que personne n'appréciait
Et que très peu de gens aimaient ;
C'était une violette dans la mousse
À peine visible aux regards!
Brillante comme une étoile
Qui scintille dans le ciel solitaire.
Elle vivait inconnue et peu l'ont su
Quand Lucy a cessé de vivre ;
Mais elle est dans sa tombe et, oh,
Rien pour moi n'est comme avant !
Cela sonne plutôt comme les poèmes de Sainte-Beuve (Vie, poésies et pensées de Joseph Delorme) : prosaïsme, vie gâchée, etc.
Mais Baudelaire admirait la poésie de Sainte-Beuve (pas toujours de manière intéressée mais parfois désintéressée) et quelques poèmes des « Fleurs du mal » sont des tentatives réussies pour donner à la poésie prosaïque ce supplément d'âme qui manque aux poèmes du célèbre critique.
Je crois que le poème de Baudelaire vous donnera une idée plus précise que ma traduction du poème de Wordsworth de la poésie des « lakistes » :
La servante au grand cœur dont vous étiez jalouse,
Et qui dort son sommeil sous une humble pelouse,
Nous devrions pourtant lui porter quelques fleurs.
Les morts, les pauvres morts, ont de grandes douleurs,
Et quand octobre souffle, émondeur des vieux arbres,
Son vent mélancolique à l'entour de leurs marbres,
Certes, ils doivent trouver les vivants bien ingrats,
À dormir, comme ils font, chaudement dans leurs draps,
Tandis que, dévorés de noires songeries,
Sans compagnon de lit, sans bonnes causeries,
Vieux squelettes gelés travaillés par le ver,
Ils sentent s'égoutter les neiges de l'hiver
Et le siècle couler, sans qu'amis ni famille
Remplacent les lambeaux qui pendent à leur grille.
Lorsque la bûche siffle et chante, si le soir,
Calme, dans le fauteuil je la voyais s'asseoir,
Si, par une nuit bleue et froide de décembre,
Je la trouvais tapie en un coin de ma chambre,
Grave, et venant du fond de son lit éternel
Couver l'enfant grandi de son œil maternel,
Que pourrais-je répondre à cette âme pieuse,
Voyant tomber des pleurs de sa paupière creuse ?
Quoi qu'il en soit notre excursion sur le navire que vous voyez ci-dessous sur le lac Windermere nous a, quant à elle, paru pleine de cette poésie que nous ne pouvions pas, par manque d'expériences et de culture anglaises, trouver dans les mots des poèmes.
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