vendredi 3 décembre 2021

Le neutre en francais

 “La fluidité de genre est dans l’air
du temps”

MARIA CANDEA
Sociolinguiste, professeure à l’université Sorbonne Nouvelle et coautrice de « Parler comme jamais » (éd. Le Robert)

Était-il indispensable de faire entrer « iel » dans les pages numériques du Robert ?


C’est un choix éditorial qui me paraît tout à fait fondé, parce que le pronom « iel » est de plus en plus usité par les adolescents – demandez aux enseignants, ils vous le confirmeront – et apparaît dans des romans, dans des thèses, etc. La fluidité de genre et la non-binarité sont dans l’air du temps, c’est un fait. Un dictionnaire doit donner au public, qui entend parler d’un mot, une orthographe et une définition. Mais il n’« invente » aucune réalité. Ce n’est donc pas un choix idéologique, comme le dénoncent certains...
C’est l’institutionnalisation d’un mot, donc une forme de reconnaissance, on ne peut pas le nier. Mais il est tout aussi idéologique de refuser de donner à « iel » une entrée, comme le fait Larousse. Le Robert a toujours cherché à être proche des mots qui font l’actualité, notamment politique, alors que Larousse se montre plus conservateur. « Végane » est entré dans le Robert en 2014 et dans le Petit Larousse en 2015. « Féminicide » se trouve depuis 2014 dans le Robert, Larousse a attendu 2021 pour lui faire une place... Tous ces mots appartiennent au voca- bulaire progressiste. Est-ce un hasard ? Si le camp conservateur forgeait plus de mots nouveaux, le Robert en tiendrait compte. Prenez l’acception donnée par
Jean-Pierre Chevènement au vieux mot « sauvageon » en 1998 : elle a connu une telle notoriété qu’elle s’y trouve aujourd’hui [« Jeune délinquant dans le contexte de la violence urbaine »]. Il relève pourtant du vocabulaire de la droite et de l’extrême droite. Plus généralement les insultes racistes ou antisémites y figurent également, parce qu’elles font partie de la réalité sémantique de notre société. On ne peut pas les faire disparaître, parce que cette réalité nous heurte ! 


On entend aussi qu’« iel » est fautif parce que c’est un pronom neutre et que le pronom neutre n’existe pas en français... 

Le neutre est en réalité omniprésent dans la langue française!« Je »,« tu »,« on », « nous », « vous » sont des pronoms neutres en soi, puisqu’on peut dire « nous sommes heureux », tout autant que « nous sommes heureuses ». Il est probable qu’avec « iel », ce sera la même chose : on pourra dire « iel est heureux » ou « iel est heureuse ».
En somme, aucun esprit « influençable » ne se convertira à la non-binarité parce que « iel » a pris place dans le Robert... Ce serait absurde de penser ça. Aucun adolescent ne décide de changer d’identité après avoir feuilleté un dictionnaire ! C’est le contraire qui se passe : un mot se répand dans la société, est utilisé ici ou là, et le public vient en chercher la définition dans le dictionnaire.

Propos recueillis par A. G.

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