Portrait du duc de Saint-Simon à 20 ans (1695)
par Hyacinthe Rigaud
Phrase qu'il faut souligner ici : « [J'admirai] dans quelles ténèbres épaisses et tranquilles vivent les rois qu'ils (les Jésuites) conduisent. »
Le roi me répondit qu'il était vrai qu'il ne prenait point de tabac; sur quoi la reine fit comme des excuses d'en prendre, et dit qu'elle avait fait tout ce qu'elle avait pu, à cause du roi, pour s'en défaire, mais qu'elle n'en avait pu venir à bout, dont elle était bien fâchée. Le roi ajouta que pour du chocolat, qu'il en prenait avec la reine les matins, mais que ce n'était que les jours de jeûne. "Comment, Sire ? repris-je de vivacité, du chocolat les jours de jeûne ? - Mais fort bien, ajouta le roi gravement ; le chocolat ne le rompt pas. - Mais, Sire, lui dis-je, c'est prendre quelque chose, et quelque chose qui est fort bon, qui soutient, et même qui nourrit. - Et moi je vous assure, répliqua le roi avec émotion et rougissant un peu, qu'il ne rompt pas le jeûne; car les jésuites, qui me l'ont dit, en prennent tous les jours de jeûne, à la vérité sans pain ces jours-là, qu'il y trempent les autres jours." Je me tus tout court; car je n'étais pas là pour instruire sur le jeûne; mais j'admirai en moi-même la morale des Bons Pères et les bonnes instructions qu'ils donnent, l'aveuglement avec lequel ils sont écoutés et crus privativement à qui que ce soit, du petit des observances au grand des maximes de l'Évangile et des connaissances de la religion, dans quelles ténèbres épaisses et tranquilles vivent les rois qu'ils conduisent.
Saint-Simon, Mémoires, Année 1722, Pléiade, Tome VIII, pages 371-372.
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