lundi 25 juin 2018

Le « Monstre à mille têtes » qui élit les monstres

Tête de Coriolan 

Voici un extrait, concernant le « Coriolan » de Shakespeare, d'une interview de Robert Lepage par Mario Girard, publiée dans La Presse+, ici :



MG Qu'est-ce qu'il a encore à vous dire, ce fameux Coriolan ?

RL Quand tu t'attaques à une pièce de Shakespeare, tu ne peux pas te contenter de la monter une seule fois. Tu dois la revisiter. Ses pièces sont des joyaux. On y retrouve plusieurs facettes. Elles sont souvent en phase avec l'époque où tu décides de les monter. Dans le cas de Coriolan, j'ai toujours présenté ce personnage comme quelqu'un d'antipathique, d'élitiste, qui n'aime pas son peuple. Dans cette culture des réseaux sociaux dans laquelle on vit et qui fait que des décisions des gouvernements sont prises en fonction des « likes », on se rend compte que c'est l'ignorance générale qui décide de tout. J'exagère un peu, mais je ne suis pas loin de la réalité. C'est quelque chose qui m'horripile en ce moment.

MG Vous avez donc intégré cette réalité dans Coriolan ?

RL C'est totalement dans Coriolan, c'est exactement le propos de Coriolan. Ce qui tue Coriolan, c'est que l'on donne raison au peuple. Si tu remplaces le fameux « monstre à mille têtes » dont il est question dans la pièce par les « likes » et les gens qui participent aux tribunes téléphoniques, on arrive au même résultat. Et l'autre chose qui est intéressante, c'est que cette pièce se déroule au moment où Rome devient une république. La pièce est une formidable étude du fonctionnement du système républicain. Pourquoi ça marche en France et pourquoi ça marche tout croche ailleurs ? Avec l'arrivée de Trump, on a un bel exemple de cela.

MG Je suis fasciné, car j'ai l'impression d'entendre un metteur en scène me parler du texte d'un jeune auteur.

RL Quand les gens de Stratford m'ont demandé de monter un Shakespeare, j'étais obsédé par ces questions. Et, tout à coup, ça m'a frappé. Coriolan se demande pourquoi ce sont les gens ignorants qui prennent les décisions, et non pas les gens qui ont les connaissances nécessaires. C'est un grand et grave problème de société dont il faut absolument débattre.

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