dimanche 10 septembre 2023

Bélizaire, le jeune esclave noir qui avait été effacé de la toile (1837) de Jacques Amans


 Voici l'article du journal Le Monde qui parle de ce tableau :

Bélizaire, le jeune esclave noir qui avait été effacé de la toile


« Le Metropolitan Museum of Art à New York va exposer « Bélizaire et les enfants Frey ». 

Une fois restaurée, cette toile de 1837 a dévoilé un jeune esclave noir qui avait été gommé par une couche de peinture pendant plusieurs décennies.
Le tableau Bélizaire et les enfants Frey a été acquis au printemps par le Metropolitan Museum of Art (Met), à New York, qui s’apprête à l’exposer dans ses salles. L’histoire de la toile commence en 1837 à La Nouvelle-Orléans, quand le banquier et marchand Frederick Frey passe commande à Jacques Amans, portraitiste français des élites locales. Ses trois enfants, Elizabeth, Léontine et Frederick Frey Jr., posent, roses et souriants, sur fond de bayou. Ce qui étonne, c’est la présence d’un jeune esclave rêveur, qui domine la composition, et son traitement pictural soigné, inhabituel à l’époque. Cet enfant est alors inconnu.
Les décennies passent, la toile est transbahutée sans ménagement par les descendants des Frey, puis, en 1973, donnée au New Orleans Museum of Art (NOMA). Et si on n’y voit plus que les trois petits Frey, ce n’est pas en raison de la poussière : le jeune Noir a tout bonnement été oblitéré, fondu dans le décor. Par qui ? Pourquoi ? Nul ne sait. Bien qu’on distingue son fantôme sous les coups de pinceau, le NOMA se contente de remiser le tableau jusqu’en 2005, année où il est revendu par Christie’s à un antiquaire de Virginie. Une lourde restauration plus tard, le garçon noir réapparaît, mais demeure anonyme.
Quand, en 2013 et au hasard de recherches en ligne, le collectionneur Jeremy K. Simien tombe sur des photos avant-après de la toile, il devient « hanté » : il lui faut découvrir l’identité de « ce fils de Louisiane, cet être digne, qu’on s’en souvienne », explique-t-il dans le podcast « Curious Objects ». En 2021, il localise le tableau, l’achète à un collectionneur de Washington qui le possède désormais, puis embauche l’historienne louisianaise Katy Morlas Shannon. Qui remonte jusqu’à un bébé né en 1822 de père inconnu et d’une mère esclave achetée par les Frey comme cuisinière. De ce fait, tous deux vivent près des maîtres, lui devenant gardien des enfants. Mais à la mort du patriarche, c’est l’arrachement : la veuve le revend et sa trace s’évanouit. Reste un prénom : Bélizaire.
Si le Met a acquis la toile au printemps, c’est pour rompre avec « l’histoire de l’art américaine romantisée », explique une conservatrice du musée au quotidien New York Times. Comprendre : dans la foulée du mouvement Black Lives Matter, il est temps d’exposer les racines des inégalités systémiques. Le NOMA, lui, reconnaît « une erreur » et évoque le manque de moyens, ce qui n’empêche pas l’ire des experts. Quant aux réseaux sociaux, ils fourmillent de questions. Et si Bélizaire était le fils illégitime du père Frey, un cas fréquent dans les familles esclavagistes ? A-t-il survécu à la guerre de Sécession ? A-t-il connu le statut d’homme libre ? Il accède aujourd’hui à la postérité – sinon une réparation, une consolation. »

 

Coline Clavaud-Mégevand


Voici une vue rapprochée de Bélizaire :



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