mardi 11 juillet 2023

CANADIENS ET AUTOCHTONES D’AMÉRIQUE DU NORD : DES TRAJECTOIRES HISTORIQUES QUI SE CHEVAUCHENT


CANADIENS ET AUTOCHTONES 
D’AMÉRIQUE DU NORD :
DES TRAJECTOIRES HISTORIQUES 
QUI SE CHEVAUCHENT

Durant près de trois siècles, les coureurs de bois canadiens et métis ont avancé dans l’arrière-pays du continent nord-américain, s’engageant dans de nouveaux espaces envoûtants et dangereux de forêts profondes, de lacs et de rivières sans fin, de montagnes majestueuses, de plaines à perte de vue jusqu’aux contrées les plus nordiques. Partout où le canot pouvait aller, les coureurs de bois se rendaient, en quête d’aventure, d’Autochtones, de fourrures et de fortune. Capables de s’accommoder de n’importe quelles conditions, n’importe où — au nord jusqu’à la baie d’Hudson, à l’ouest, vers les Rocheuses et au sud jusqu’au golfe du Mexique — le continent entier était leur monde. 

Leurs petits camps et comptoirs se transformèrent en villes et, plus tard, en grandes cités dont les noms honorent leur mémoire encore aujourd’hui. S’imposant longtemps comme des icônes culturelles de l’identité nord-américaine, ces hommes constituent, à l’inverse du mépris racial caractérisant la colonisation anglo-saxonne, des exemples vivants de la mixité et du métissage des peuples.

En 2021, le recensement canadien rapportait que 624 220 personnes s’identifiaient en tant que Métis au Canada, tandis qu’il en existe beaucoup d’autres aux États-Unis. Bien qu’elles aient été historiquement bafouées, leurs communautés persistent et sont encore attachées à leur langue, à leur culture et à leur héritage. 

Néanmoins, elles ne représentent qu’une fraction des Nord-Américains qui ont une ascendance européenne et autochtone. En 1970, l’éminent ethnologue Jacques Rousseau estimait de manière conservatrice que 40 à 50 % des familles canadiennes françaises avaient des ancêtres autochtones dans leur arbre généalogique, ce qui aurait représenté à cette époque 8 millions de personnes. En 2005, ce nombre aurait grimpé à 12 millions. 

En 2012, la directrice du projet BALZAC, Hélène Vézina, allait plus loin en établissant que la proportion de familles québécoises ayant une ascendance d’au moins un Autochtone dépasse les 50 % sur tout le territoire et atteint plus de 75 % pour les régions de Montréal et de la Côte-Nord; sans parler de l’apport, souvent ignoré, d’ancêtres canadiens dans la généalogie des Premières Nations. 

Au-delà des frontières québécoises, un portrait étonnant de l’Amérique se révèle. Archambault, Bissonnette, Boudreaux, Boucher, Dion, Dubray, Ducheneaux, Douville, Garneau, Giroux, LaPlante, Lebeau, Menard, Mousseau, Peltier, Pineaux, Roubideaux, Trudell et autres; de tels noms de famille semblent directement sortis d’un bottin téléphonique d’une région du Québec. Pourtant, tel que nous l’apprend Gilles Havard, ils sont tirés du Dakota du Sud et désignent des familles sioux-lakota situées dans la communauté de Pine Ridge. Au Québec particulièrement, mais également à l’échelle de l’Amérique du Nord, nombre d’Autochtones portent aussi des noms d’origine canadienne — Sioux, Cris, Dénés, Ojibwés, Arikaras, Wyandots et bien d’autres — sans oublier l’arrière-petit-fils du légendaire chef lakota Sitting Bull, dénommé Ernie Lapointe. 

Quand on regarde d’autres nations de plus près, de nombreux patronymes américains dévoilent aussi une origine semblable. Chez les Sioux, les Brewer sont un dérivé de Brughière ou les Deloria de Deslauriers. De même, Bush est issu de Boucher, O’Clair de Auclair, Bilow de Bilodeau, Carter de Cartier, Fairfield de Beauchamp, Stone de Desrochers, Willard de Ouellet, Sun de Beausoleil, Waterhole de Trudeau et ainsi de suite. Il s’agit là d’autant d’indices du métissage et du brassage génétique franco-autochtone qui s’est prolongé longtemps après la chute du régime français. 

Mentionnons également ces nations autochtones de l’Ouest américain qui sont aujourd’hui connues dans la langue anglo-américaine sous des appellations françaises, tels que les Nez Percés, les San Poil, les Gros Ventres, les Cœurs d’Alène, les Pend d’Oreilles ou encore les Brûlés. 

Encore plus nombreux sont ces gens ayant une identité culturelle liée aux premiers truchements et aux milliers de coureurs de bois et voyageurs canadiens et métis qui ont parcouru durant des siècles les quatre coins du continent. De nos jours, dans chaque province du Canada et dans cinq États américains, de nombreuses associations et organisations se réclament de l’héritage culturel laissé par tous ces hommes et femmes métissés et, derrière eux, du legs humaniste de Samuel de Champlain, débarqué en Amérique il y a plus de 400 ans. 


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