CANADIENS ET AUTOCHTONES
D’AMÉRIQUE DU NORD :
DES TRAJECTOIRES HISTORIQUES
QUI SE CHEVAUCHENT
Durant
près de trois siècles, les coureurs de bois canadiens et métis ont
avancé dans l’arrière-pays du continent nord-américain, s’engageant dans
de nouveaux espaces envoûtants et dangereux de forêts profondes, de
lacs et de rivières sans fin, de montagnes majestueuses, de plaines à
perte de vue jusqu’aux contrées les plus nordiques. Partout où le canot
pouvait aller, les coureurs de bois se rendaient, en quête d’aventure,
d’Autochtones, de fourrures et de fortune. Capables de s’accommoder de
n’importe quelles conditions, n’importe où — au nord jusqu’à la baie
d’Hudson, à l’ouest, vers les Rocheuses et au sud jusqu’au golfe du
Mexique — le continent entier était leur monde.
Leurs
petits camps et comptoirs se transformèrent en villes et, plus tard, en
grandes cités dont les noms honorent leur mémoire encore aujourd’hui.
S’imposant longtemps comme des icônes culturelles de l’identité
nord-américaine, ces hommes constituent, à l’inverse du mépris racial
caractérisant la colonisation anglo-saxonne, des exemples vivants de la
mixité et du métissage des peuples.
En
2021, le recensement canadien rapportait que 624 220 personnes
s’identifiaient en tant que Métis au Canada, tandis qu’il en existe
beaucoup d’autres aux États-Unis. Bien qu’elles aient été historiquement
bafouées, leurs communautés persistent et sont encore attachées à leur
langue, à leur culture et à leur héritage.
Néanmoins,
elles ne représentent qu’une fraction des Nord-Américains qui ont une
ascendance européenne et autochtone. En 1970, l’éminent ethnologue
Jacques Rousseau estimait de manière conservatrice que 40 à 50 % des
familles canadiennes françaises avaient des ancêtres autochtones dans
leur arbre généalogique, ce qui aurait représenté à cette époque 8
millions de personnes. En 2005, ce nombre aurait grimpé à 12 millions.
En
2012, la directrice du projet BALZAC, Hélène Vézina, allait plus loin
en établissant que la proportion de familles québécoises ayant une
ascendance d’au moins un Autochtone dépasse les 50 % sur tout le
territoire et atteint plus de 75 % pour les régions de Montréal et de la
Côte-Nord; sans parler de l’apport, souvent ignoré, d’ancêtres
canadiens dans la généalogie des Premières Nations.
Au-delà
des frontières québécoises, un portrait étonnant de l’Amérique se
révèle. Archambault, Bissonnette, Boudreaux, Boucher, Dion, Dubray,
Ducheneaux, Douville, Garneau, Giroux, LaPlante, Lebeau, Menard,
Mousseau, Peltier, Pineaux, Roubideaux, Trudell et autres; de tels noms
de famille semblent directement sortis d’un bottin téléphonique d’une
région du Québec. Pourtant, tel que nous l’apprend Gilles Havard, ils
sont tirés du Dakota du Sud et désignent des familles sioux-lakota
situées dans la communauté de Pine Ridge. Au Québec particulièrement,
mais également à l’échelle de l’Amérique du Nord, nombre d’Autochtones
portent aussi des noms d’origine canadienne — Sioux, Cris, Dénés,
Ojibwés, Arikaras, Wyandots et bien d’autres — sans oublier
l’arrière-petit-fils du légendaire chef lakota Sitting Bull, dénommé
Ernie Lapointe.
Quand on
regarde d’autres nations de plus près, de nombreux patronymes
américains dévoilent aussi une origine semblable. Chez les Sioux, les
Brewer sont un dérivé de Brughière ou les Deloria de Deslauriers. De
même, Bush est issu de Boucher, O’Clair de Auclair, Bilow de Bilodeau,
Carter de Cartier, Fairfield de Beauchamp, Stone de Desrochers, Willard
de Ouellet, Sun de Beausoleil, Waterhole de Trudeau et ainsi de suite.
Il s’agit là d’autant d’indices du métissage et du brassage génétique
franco-autochtone qui s’est prolongé longtemps après la chute du régime
français.
Mentionnons
également ces nations autochtones de l’Ouest américain qui sont
aujourd’hui connues dans la langue anglo-américaine sous des
appellations françaises, tels que les Nez Percés, les San Poil, les Gros
Ventres, les Cœurs d’Alène, les Pend d’Oreilles ou encore les Brûlés.
Encore
plus nombreux sont ces gens ayant une identité culturelle liée aux
premiers truchements et aux milliers de coureurs de bois et voyageurs
canadiens et métis qui ont parcouru durant des siècles les quatre coins
du continent. De nos jours, dans chaque province du Canada et dans cinq
États américains, de nombreuses associations et organisations se
réclament de l’héritage culturel laissé par tous ces hommes et femmes
métissés et, derrière eux, du legs humaniste de Samuel de Champlain,
débarqué en Amérique il y a plus de 400 ans.
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