jeudi 12 janvier 2023

Un vieil intellectuel français encore infecté par la feue propagande soviétique stalinienne


 Un vieil intellectuel français encore infecté par la feue propagande soviétique stalinienne et squæ !

Un compte rendu tiré du journal « Le Monde » du vendredi 13 janvier 2023 :


Ukraine: Edgar Morin se trompe de combat
 

Dans le nouvel essai du sociologue, d’importantes erreurs factuelles grèvent l’analyse du conflit en cours

Florent Georgesco 


Nul ne pourrait reprocher à un vieux savant, auteur d’une œuvre sociologique et philo­sophique abondante, qui a touché aux sujets les plus divers, de ne plus avoir, à 101 ans, l’énergie et la curio­sité de se consacrer avec rigueur à de nouveaux domaines. Mais alors le bon sens voudrait qu’il n’écrive pas de livres sur ces sujets laissés en plan. C’est pourtant ce que vient de faire Edgar Morin à propos de l’Ukraine en publiant De guerre en guerre, et le résultat laisse perplexe.


Le projet auquel répond ce petit livre en vaut a priori un autre. L’auteur de La Rumeur d’Orléans (Seuil, 1969) entend mettre les événements ukrainiens en perspective à partir de son expérience de la guerre, fondée sur son engagement dans la Résistance et quatre-­vingts ans d’observation des crises mondiales. Il veut avertir contre les mécanismes de « radicalisation » qu’entraînerait, selon lui, toute guerre. Au premier chef, une « hystérisation » réciproque, qui pousse­rait à développer un « manichéisme » em­ pêchant de se livrer à une «contextuali­sation » adéquate. 

Comment, cependant, contextualiser sans connaître ? Passé cette leçon de cho­ses guerrières, Edgar Morin en vient à la situation particulière de l’Ukraine, et les inexactitudes sur l’histoire et l’actualité se multiplient. Affirmer que l’Ukraine « proclama son indépendance », après la révolution d’Octobre, « sous la conduite de l’anarchiste Makhno » n’a par exemple aucun sens. C’est la Rada (le Parlement ukrainien) qui, le 22 janvier 1918, a pro­clamé l’indépendance, fruit d’un proces­sus collectif sur lequel Makhno n’avait pas pesé. Ecrire que l’intervention de la Russie de Poutine en Syrie « anéantit l’[organisation] Etat islamique » est une contrevérité régulièrement démentie par tous les spécialistes. De même, il était aisé, pour l’auteur comme pour l’éditeur, de vérifier que les pays baltes ne sont pas entrés dans l’OTAN à cause de l’invasion de l’Ukraine, puisqu’ils en sont membres depuis 2004.
 
Encore cette série d’erreurs, parmi d’autres, ne touche-­t-­elle pas le nerf des arguments développés par Edgar Morin. En revanche, les événements qui ont suivi la révolution pro-­occidentale de Maïdan, en 2014, sont, eux, au cœur de son propos. Or, il semble ne pas avoir pris la peine de lire les nombreux tra­vaux sur la question. Les troubles alors déclenchés dans le Donbass sont rame­nés à une «sécession des régions russo­phones », sans aucune mention de l’in­tervention directe de l’armée russe, pourtant très largement documentée. 

Identifiant « russophones » et popula­tion « russifiée », à rebours de toutes les études montrant une décorrélation croissante de l’usage des langues et du sentiment d’appartenance, au profit de la citoyenneté ukrainienne, il place les pro­tagonistes sur une scène fantomatique où la Russie, dans ce conflit « interne », se contenterait d’un rôle d’influence – qu’il peut, dès lors, rendre équivalent à celui de l’Occident, en évacuant la différence entre le fait d’envoyer des troupes afin de déstabiliser un pays et l’aide apportée à ce pays, pour qu’il se défende.
 
Aussi finit-­il par proposer de mettre fin à la souveraineté de l’Ukraine sur le Donbass ; sans cela, écri-t­il, « sa popula­tion russophone serait opprimée et répri­mée» après la guerre. S’il ne va pas jus­qu’à écrire que la région doit revenir à la Russie – ce qu’il fait pour la Crimée –, on peut reconnaître là un des éléments de langage constants de Poutine depuis le 24 février. Sa méconnaissance du terrain explique certes mieux ce rapproche­ment objectif avec la propagande russe qu’une complicité consciente. Il ne rend pas moins amère la lecture d’un livre où les opinions paraissent se suffire à elles-mêmes, détachées de cela seul qui pour­rait les justifier: le réel, qu’il évacue à mesure. L’Ukraine méritait mieux. Edgar Morin aussi. 
 
De guerre en guerre de 1914 à l’Ukraine,
 d’Edgar Morin,
  L’Aube, « Monde en cours », 88 p.


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