mardi 9 février 2016

Ce qui compte dans le roman, c'est le poème

https://fr.wikipedia.org/wiki/Fiodor_Dosto%C3%AFevski

Pour que l'on puisse saisir ce que cette phrase de Dostoïevski signifie, voici ce qu'André Markowzicz écrit à propos de sa traduction du « Joueur » :

En traduisant « Le Joueur », ça m’avait sidéré, comment les répétitions, obsédantes (et si souvent gommées par mes prédécesseurs) désignaient une seule et même image : le vortex de la roulette, et la roue. Comment tout était organisé autour de ce qui « tourne », et que, donc, même le mot « vertige », — en russe « golovokrouzhénié » (littéralement : le fait que la tête tourne) ne pouvait pas être traduit par « vertige », mais uniquement par « tournis », parce que, sinon, on manquait une étape dans l’élaboration de l’image. Et comment toutes ces images, disparates, de tournoiement, de spirales, de vortex, venaient se fondre dans le personnage de la grand-mère, en fauteuil-roulant… La poésie de Dostoïevski, sans exemple à son époque, sans référence aucune, même à Gogol, s’exprime là, en mettant sur le même plan de symbolisme les roues d’un fauteuil roulant, le mouvement de la bille dans la roulette, le cycle des planètes et le personnage du Joueur lui-même, qui commence à zéro et finit à zéro. Et pour chacune des œuvres, ou presque, cette construction de l’image revient, derrière la narration — comme si la narration, déjà haletante en elle-même, et qui, largement, suffirait à faire la valeur de l’expérience de la lecture, n’était qu’un chemin vers l’image, — l’image, qui, en russe, désigne d’un même mot la métaphore et l’icône, « obraz ».

Tous les grands romans, je veux dire les romans qui visent à être des œuvres d'art, sont, en vérité, des poèmes, comme l'écrit Dostoïevski, car ils ont emprunté les moyens de la poésie, c'est-à-dire les rimes, les rimes romanesques étant composées surtout d'images se renvoyant les unes aux autres par des similitudes de contenu plutôt que par des similitudes d'expression (phoniques) comme dans la poésie. 
Mais il faut dire que ces rimes-là existaient aussi dans la poésie et que c'est sans doute pour cette raison que les romans ont pu emprunter les moyens de la poésie.

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