vendredi 19 juillet 2013

Sujet ou citoyen

C'est la partie centrale de l'« Admiralty Arch » près de Trafalgar Square à Londres, élevée à l'instigation d'Édouard VII pour honorer sa mère, la reine Victoria.
(Vue d'ensemble de ce côté de l'Arche au bas de ce billet).
Pas mal comme art néo-classique mais ce n'est pas surtout pour son architecture que je vous la présente, c'est pour l'inscription latine que vous y voyez.
L'Arche a été élevée en 1910, comme vous le voyez sur l'inscription (MDCCCCX, en chiffres romains) et cette inscription latine montre que la civilisation romaine avait encore le haut du pavé, du moins dans les inscriptions, à cette époque.
Mais il y a un détail dans l'inscription même qui démontre que cette civilisation influençait encore les esprits.
Relisons l'inscription et traduisons-la en français* :


ANNO : DECIMO : EDWARDI : SEPTIMI :  REGIS
VICTORIÆ : REGINÆ : CIVES : GRATISSIMI : MDCCCCX


EN LA DIXIÈME ANNÉE DU RÈGNE D'ÉDOUARD SEPTIÈME
À LA REINE VICTORIA LES CITOYENS RECONNAISSANTS 1910

C'est le mot « CIVES » qu'il faut remarquer car il fait problème, selon moi.
Les Britanniques n'étaient pas des « citoyens », -comme les Romains depuis que ceux-ci avaient renversé les rois et assassiné Jules César pour ne pas redevenir « sujets » : ils étaient des « sujets » du roi (ou de la reine).
Quand on vit sous un roi (ou une reine) on est « sujet » c'est-à-dire « assujetti » au pouvoir de celui-ci (ou de celle-ci). 
D'ailleurs les Britanniques se vantaient eux-mêmes de cet état d'assujettissement : jusqu'à l'entrée de l'Angleterre dans l'Europe, je crois, il y avait un passage spécial aux douanes britanniques pour ceux que l'on appelait les « British Subjects » (les « sujets britanniques ») et qui comprenaient les Britanniques eux-mêmes et les habitants (pas les citoyens : les autres sujets du monarque) des autres parties de l'Empire britannique (y compris, entre autres, les Canadiens et les Québécois, jusqu'en 1977).
Peut-être ai-je lu quelque part dans Kipling qu'on pouvait être aussi fier d'être « sujet britannique » que d'être jadis « citoyen romain ».
L'inscription de l' « Admiralty Arch » tente pourtant de camoufler cet état de « sujet » et de faire passer les Britanniques qui élèvent l'Arche dédiée à la reine Victoria pour des citoyens.
Comme s'ils étaient des Romains, eux aussi. 
C'est peut-être une explication de l'utilisation du latin dans l'inscription : si celle-ci avait été en anglais on n'aurait pas pu utiliser le mot « citizens », il aurait fallu écrire « subjects » !
Voici une vue plus large de l'Arche :


* La domination du latin, voire sa connaissance, n'existe plus beaucoup, ni en Angleterre, ni en Europe ou en Amérique. Voici comment l'auteur de l'article sur « Admiralty Arch » dans Wikipédia traduisait cette inscription à l'époque où j'ai écrit ce billet :
« En la dixième année du règne d'Édouard VII, à la reine Victoria, de la plupart de ses citoyens reconnaissants, 1910 ».
Je me demande où il avait pêché ce « la plupart de » et ce « ses » (on a changé la traduction depuis : nous sommes maintenant en 2020).

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