mercredi 7 avril 2010

L'homme-tigre

Je ne sais pas vous, mais moi je souhaiterais parfois ne plus être un humain.
Être un animal plutôt.
(Pour autant qu'un humain n'est pas un animal).
Disons, être un autre animal.
Un félin.
Un chat très souvent, à cause de cette indifférence qui me semble être la sienne.
De cette certitude, que je lis dans ses gestes feutrés, de mériter toujours ce qu'il y a de meilleur de la part des autres (pas le médiocre, en aucun cas, seulement le meilleur).
À cause de ce mépris des humains qu'il me semble éprouver, que j'éprouve aussi (y compris pour moi-même).
Parfois je souhaiterais être un félin plus fort et plus cruel, un tigre.
Pour pouvoir prendre le meilleur si on ne me le donne pas.
Pouvoir me métamorphoser, comme l'homme de la photo, avoir ces yeux d'or, cette fourrure rayée, précieuse.
Puis, une fois mes instincts meurtriers assouvis, revenir secrètement à la forme humaine.
Mais, sans doute, sans métamorphose, sommes-nous toujours ce que nous souhaitons être, secrètement.
Peut-être y a-t-il seulement moi qui le suis: tigre et carnassier, assassin de ce que j'aime, hélas, ou même de ce que je n'aime pas.
Comme l'affirme le poème de Pablo Neruda, «El Tigre» (la traduction en français suit):

El Tigre

Soy el tigre.

Te acecho entre las hojas
anchas como lingotes
de mineral mojado.

El río blanco crece
bajo la niebla. Llegas.

Desnuda te sumerges.

Espero.

Entonces en un salto
de fuego, sangre, dientes,
de un zarpazo derribo
tu pecho, tus caderas.
Bebo tu sangre, rompo
tus miembros uno a uno.

Y me quedo velando
por años en la selva
tus huesos, tu ceniza,
inmóvil, lejos
del odio y de la cólera,
desarmado en tu muerte,
cruzado por las lianas,
inmóvil, lejos
del odio y de la cólera,
desarmado en tu muerte,
cruzado por las lianas,
inmóvil en la lluvia,
centinela implacable
de mi amor asesino.



Le Tigre


je suis le tigre.

Je te guette parmi les feuilles
aussi grandes que des lingots
de minerai mouillé.


Le fleuve blanc grandit
sous la brume. Te voici.


Tu plonges nue.

J’attends.


Alors d’un bond,
feu, sang et dents,
ma griffe abat
ta poitrine, tes hanches.
Je bois ton sang, je brise
tes membres, un à un.


Et je reste dans la forêt
à veiller durant des années
tes os, ta cendre,
immobile, à l’écart
de la haine et de la colère,
désarmé par ta mort,
traversé par les lianes,
immobile sous la pluie,
sentinelle implacable
de mon amour, cet assassin.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire