samedi 10 avril 2010

Le sacre ou le juron québécois comme mot «schtroumpf»

On parle dans le Devoir d'aujourd'hui de cet improbable linguiste russe de l'Université d'État de Saratov, Artiom Koulakov, spécialiste du français d'Amérique du nord (dont le québécois est une variété) et particulièrement des jurons et sacres que les locuteurs francophones nord-américains, et particulièrement les Québécois, ont créés.
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Ces jurons et ces sacres prennent leur origine, comme nous le savons tous, dans le vocabulaire désignant les objets du culte et les pratiques catholiques: « crisse » (provient de « Christ »), « tabarnac » (provient de « tabernacle »), « viarge » (provient de «Vierge»), « simonac » (provient de « simoniaque »), « câlice » (provient de « calice »), et j'en passe et des meilleurs.
(Avant d'aller plus avant, je voudrais signaler que ces jurons et sacres ont été créés au 18e siècle, sous le Régime français ou au début du Régime anglais après la Conquête, vers la fin du 18e siècle ou vers le début du 19e et que c'est à cela qu'ils doivent la prononciation qui est la leur, celle du « bel usage » à la cour de France et dans les salons avant la Révolution, qui imposera la prononciation du « grand usage » (voir ici pour plus d'informations sur ces prononciations).
Il y a plusieurs pays qui ont ainsi emprunté leurs jurons et leurs sacres aux objets et aux pratiques du culte: l'Espagne, l'Italie, par exemple.
Des pays où l'Église catholique a été toute-puissante et a pesé de tout son poids sur les esprits et les corps.
Et a attiré toutes les haines, par conséquent.
(D'autant plus que certaines des pratiques de pouvoir de son clergé, dont la pédophilie, ne datent pas d'aujourd'hui).
Notre linguiste russe s'étonne de la plasticité des sacres québécois : « crisse », par exemple, peut aussi bien être un nom (aussi bien masculin que féminin : « Tu es un petit crisse ou une petite crisse »), qu'un verbe (« crisse ton camp » (va-t-en vite)), qu'une interjection (« Crisse que c'est beau ! »).
Il peut aussi se décliner grâce à des adjonctions : « c'est crissement beau ! » par exemple, où il devient adverbe.
Je crois que certains sacres, comme « crisse », sont l'équivalent du mot « schtroumpf » pour les Schtroumpfs : ils peuvent se substituer à tous les autres.
M. Koulakov admire aussi beaucoup la « fécondité » de « tabarnac » et son infinité de variantes: « tabarnache », « tabarnouche », « tabarnane », « tabarouette », « tabarslac », « tabarslingue », etc.
« Avec un nombre limité de gros mot, s'ébahit-il, les Québécois ont créé un nombre infini de sacres ».
(Cette fécondité de « tabarnac » est due, je peux en témoigner, à la réprobation des parents et des ecclésiastiques : quelqu'un commençait à prononcer le sacre habituel, puis s'apercevait de la présence d'un curé (ils étaient partout, comme les collabos des nazis) ou d'un parent (une mère plutôt qu'un père, il faut le dire) et changeait la terminaison pour s'éviter une réprimande inutile ou un séjour humiliant au confessionnal -le sacre étant considéré comme un péché mortel).
Comme tous les jurons et les sacres, les jurons et les sacres québécois appartiennent à un niveau de langue vulgaire.
Mais qui n'utilise pas ce niveau de langue parfois dans des moments de colère et d'émotion ?
Moi-même je puis vous assurer que parfois, un bon « tabarnac » (conseil aux visiteurs étrangers: prononcez-le comme il s'écrit si vous l'adoptez ; prononcer «tabernacle» vous ridiculiserait) ou un bon « câlice » (avec un « a » gras, accent circonflexe, comme Louis le Grand les prononçait) calme la colère et apporte du réconfort.
Mais pas devant les enfants ou devant quelqu'un à qui vous aimeriez plaire.

1 commentaire:

Jack a dit…

Je vois qu'un visiteur en provenance de Vicence (Vicenza) en Italie a demandé la «traduzione» (la traduction) de «tabarnouche».
Si l'on considère qu'en italien «tabernacle» c'est «tabernacolo», je propose comme traduction de «tabarnouche» «tabernaculo» ou «tabarnaculo».

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