mardi 16 février 2010

Un genre littéraire pour présenter un problème de société et y réfléchir

En littérature, le roman n'est utilisé comme genre littéraire que lorsque, dans une société ou une partie de la société, un problème d'arrimage se pose: un jeune homme ou un jeune femme doit se faire ou trouver une place puisqu'il/elle ne trouve pas une place toute faite dans la société ou la partie de société où il/elle vit.
Si le roman a pris tant d'importance en Occident depuis le 18e siècle, c'est que la société occidentale depuis cette époque s'est mise à bouger de plus en plus rapidement.
Depuis la fin de l'Antiquité et au Moyen Âge, la question ne se posait guère d'une place à sa faire dans la société où on vivait: les enfants faisaient ce que leurs parents avaient fait, -les enfants nobles menaient une vie de guerre ou de cour, les enfants bourgeois une vie de marchand, les enfants ouvriers une vie d'ouvrier, et les enfants de serfs une vie de serf.
À partir du 18e, et surtout du 19e, à cause de la Révolution (ou politique ou industrielle), les enfants ne peuvent plus exercer la fonction ou le métier de leurs parents: toutes les lois sociales ont été bouleversées, il faut des études, il faut du mérite pour se trouver une place, même pour les nobles.
Mais auparavant, même dans les sociétés médiévales ou de type médiéval, certaines sphères de la société pouvaient donner lieu à un certain flottement dans le rôle ou les fonctions que pouvaient exercer des personnes pour lesquelles rien de particulier n'était prévu, surtout pour les femmes.
C'est la raison pour laquelle des romans comme le «Genji Monogatari» de Murasaki Shikibu
au Japon et «La Princesse de Clèves» de Madeleine de Lafayette en France ont été écrits, et ont été écrits par des femmes: un problème d'arrimage se posait en effet aux femmes dans les sociétés de cour raffinées comme le Japon du 11e siècle ou la France du 17e.
C'est aujourd'hui l'anniversaire de
Madame de Lafayette et c'est la raison pour laquelle je vous entretiens du genre romanesque.
Car pour illustrer mon propos je vais vous présenter deux paragraphes de «La Princesse de Clèves» (écrit vers 1678) dans lesquels se dessinent la complexité de la vie de cour et la difficulté pour une jeune femme de s'y intégrer, problème que le roman présente et sur lequel il permet de réfléchir:

L'ambition et la galanterie étaient l'âme de cette cour, et occupaient également les hommes et les femmes. Il y avait tant d'intérêts et tant de cabales différentes, et les dames y avaient tant de part, que l'amour était toujours mêlé aux affaires, et les affaires à l'amour. Personne n'était tranquille, ni indifférent ; on songeait à s'élever, à plaire, à servir ou à nuire ; on ne connaissait ni l'ennui, ni l'oisiveté, et on était toujours occupé des plaisirs ou des intrigues. Les dames avaient des attachements particuliers pour la reine, pour la reine dauphine, pour la reine de Navarre, pour Madame, sœur du roi, ou pour la duchesse de Valentinois. Les inclinations, les raisons de bienséance, ou le rapport d'humeur faisaient ces différents attachements. Celles qui avaient passé la première jeunesse et qui faisaient profession d'une vertu plus austère étaient attachées à la reine. Celles qui étaient plus jeunes et qui cherchaient la joie et la galanterie faisaient leur cour à la reine dauphine. La reine de Navarre avait ses favorites ; elle était jeune et elle avait du pouvoir sur le roi son mari : il était joint au connétable, et avait par là beaucoup de crédit. Madame, soeur du roi, conservait encore de la beauté, et attirait plusieurs dames auprès d'elle. La duchesse de Valentinois avait toutes celles qu'elle daignait regarder ; mais peu de femmes lui étaient agréables ; et excepté quelques-unes qui avaient sa familiarité et sa confiance, et dont l'humeur avait du rapport avec la sienne, elle n'en recevait chez elle que les jours où elle prenait plaisir à avoir une cour comme celle de la reine.
Toutes ces différentes cabales avaient de l'émulation et de l'envie les unes contre les autres : les dames qui les composaient avaient aussi de la jalousie entre elles, ou pour la faveur, ou pour les amants ; les intérêts de grandeur et d'élévation se trouvaient souvent joints à ces autres intérêts moins importants, mais qui n'étaient pas moins sensibles. Ainsi il y avait une sorte d'agitation sans désordre dans cette cour, qui la rendait très agréable, mais aussi très dangereuse pour une jeune personne.


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