samedi 25 avril 2009

La Poésie et les mots

Rivarol jeune. 
Le fait qu'il ait été l'ennemi
du stupide duc de Choiseul
-qui s'est réjoui de la perte de la Nouvelle-France
par la France et l'a même directement causée- me rend ce pamphlétaire très sympathique.

En ouvrant mon blogue aujourd'hui je lis dans la colonne de droite (module « Pensées à la demande ») une réflexion -très intéressante (elle m'intéresse car elle va dans le sens de mes opinions)- de Rivarol sur la différence entre littérature et philosophie:

Pour arriver à des choses neuves en littérature,
il faut déplacer les expressions;
en philosophie, il faut déplacer les idées.


Je me suis rappelé qu'une phrase de Mallarmé reprenait la réflexion de Rivarol, en l'élargissant (ce ne sont pas les choses neuves seules qui sont concernées) :

Ce n'est pas avec des idées qu'on fait
des vers,
c'est avec des mots.

Car les vers s'appuient sur une base beaucoup plus large que la philosophie*, -les mots-, qui sont à la fois, pour employer les termes mêmes de Mallarmé, « sons », « lettres » et « sens ».
Alors que les idées -base de la philosophie- ne sont que des idées : quelque chose d'immatériel ou quelque chose comme (excusez, je n'y connais à peu près rien) des éclairs de synapses (puisque, peut-être, il n'y a rien qui soit immatériel).
Les mots donc sont, quant à eux, absolument matériels :
« Sons », c'est -à-dire qu'ils touchent l'oreille (comme la musique) ;
« Lettres », c'est -à-dire «graphes» et qu'ils touchent l'œil (comme la peinture et les autres arts graphiques) ;
« Sens », c'est-à-dire qu'ils ont à voir avec l'intellect et le cœur, les idées, les émotions, les sentiments et les perceptions.
Je pense que ce ne sont pas seulement les vers mais toute la littérature qui est ainsi faite, à partir de ce qui touche l'oreille, l'œil, l'intellect et le cœur, ici en s'appuyant davantage sur l'intellect, là sur le cœur, là sur l'oreille, là encore sur l'œil.
De telle sorte qu'en produisant un texte ou en le lisant ce ne sont pas tellement les idées qu'on peut en tirer qui sont importantes mais le chemin sensible que l'on emprunte pour les former, les créer puisque notre lecture ou notre geste créateur effectue le miracle même que la Bible attribue à Dieu dans la Genèse quand il manipule un peu de glaise pour en faire un être doué de pensée, d'émotions et de sensations.

Voyez le magnifique timbre que les Postes françaises
ont consacré à Stéphane Mallarmé en 1998
(cliquez l'image pour mieux voir) **.


* En principe, car en réalité la plupart des textes philosophiques que je lis (ils sont peu nombreux) commencent toujours par disséquer les mots, à en faire l'étymologie, à en parcourir les acceptions, à en suivre l'histoire.


** Au moins, trancher la tête du roi à la Révolution aura eu cet avantage de permettre aux timbres de représenter les têtes de personnes qui ont fait quelque chose de vraiment utile pour le progrès de l'humanité, en arts ou en sciences, et pas seulement la tête d'une personne (quels que soient ses mérites) à qui il reste encore quelques gouttes du sang de Guillaume le Conquérant et qui, pour cette raison, règne « dans le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et dans les dominions ».

5 commentaires:

VANGAUGUIN a dit…

Jack!

Ainsi, "on" s'intéresse aux réflexions qui vont dans le sens de ses opinions? Mais comment peut-on? (et il n'est pas ici question de pieds...)... Besoin de se rassurer?...

L'intéressant n'est il pas dans les réflexions qui NE vont PAS dans le sens de ses opinions, car stimulantes, contrariantes, revigorantes, émoustillantes?

...;-)

Ah! Sons, lettres, sens, etc, Phonèmes, morphèmes, et vrais nems (aussi dénommés rouleaux de printemps...)

Souriez, vous êtes dé-bloggé!

Bonjour chez vous!

Jack a dit…

En général, la plupart des gens ne réfléchissent pas aux questions qui m'intéressent.
(J'aurais peut-être dû écrire: la plupart des gens ne réfléchissent pas du tout -ce dont je les envie car au lieu de réfléchir ils agissent sans doute, peut-être, assurément...)
Et ceux qui réfléchissent aux questions qui m'intéressent vont généralement dans le sens de mes opinions (tellement rationnelles, tellement raisonnables...).
Je ne puis donc m'intéresser qu'à ces réflexions-là.
Par défaut.
J'en suis réduit (parfois) à faire moi-même ma dialectique (thèse, antithèse, synthèse) mais «in petto»: ce que je livre est donc une synthèse toujours durement conquise grâce au combat de toute une vie (sic et «sigh» comme disent les anglo-saxons).

Jack a dit…

Quant au vocabulaire des linguistes, je les laisse se rouler dedans et, j'espère, se faire frire à grande friture.

orfeenix a dit…

La littérature en déplaçant les expressions soulève en même temps de grandes idées, c'est pourquoi je place la littérature bien au dessus de la philosophie et préfère un million de fois lire l' étranger de Camus qu'un traité doctrinal bien soporifique sur l' existentialisme et ses détracteurs.Vais-je dans le sens de votre opinion?

Jack a dit…

Effectivement la littérature «capture» davantage de choses que la philosophie des traités, et pour capturer davantage la philosophie doit emprunter des formes à la littérature et devenir elle-même littérature (dans les «Dialogues» de Platon, par exemple ou dans Camus).

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