samedi 7 février 2009

Donna Leon: «Pas de larmes pour Lady Di»

Dans un des essais de son livre intitulé en français « Sans Brunetti », dont je vous ai déjà parlé, Donna Leon écrit qu'elle ne peut pas verser de larmes sur la mort tragique de Lady Di parce que cette femme, dit-elle, n'est qu'une création de la presse à sensations (genre Paris-Match ou pire) et que ce que l'on connaît d'elle ce n'est pas vraiment elle mais ce qu'elle partage avec les autres « stars » de la presse à sensations, amours malheureuses, rivales indignes, divorce, inimitiés de monarques, fin malheureuse, etc.
Ce que l'on connaît d'elle c'est moins que ce qu'on connaît sur la Callas par exemple -qui a eu, elle, la chance de tomber sur des biographes un peu dignes d'elle.
Mais en réalité, écrit Donna Leon, jamais on ne pourra vraiment avoir de chagrin à propos de personnes que nous ne connaissons que comme ces « stars », parce que nous ne les connaissons que par indignes médias interposés et non pas directement, comme nos parents et nos amis par exemple.
Ou, mieux encore, nous ne les connaissons pas comme nous connaissons des personnages de romans, comme Emma Bovary par exemple, ou comme Charles Swann, qui, grâce aux romanciers, vivent, pour ainsi dire, à l'intérieur de nous.
Peut-être connaissons-nous les personnages de romans mieux que nos parents et nos amis puisque nous avons l'impression que nous avons accès à eux aussi directement que nous avons accès à nous-mêmes, à l'intérieur de nous.
Peut-être connaissons-nous les personnages de roman* mieux que nous-mêmes (à moins que quelque psychanalyste aussi doué qu'un romancier ne nous mette sur la voie de notre moi véritable)
C'est ainsi qu'il faut comprendre -sérieusement- la réponse d'Oscar Wilde à la question : « Quel événement vous a rendu le plus malheureux? »
Oscar Wilde a répondu: « La mort de Lucien de Rubempré dans « Splendeurs et misères des courtisanes » de Balzac ».

(Cela est raconté dans « À la Recherche du temps perdu »).
J'aurais préféré que Wilde regrette plutôt la mort d'Esther Gobseck, mais on n'est pas maître du sentiment d'autrui.
Tant qu'on lira ces livres, il se trouvera quelqu'un pour pleurer sur la mort de ces personnages.
Ses enfants et, peut-être, ses autres parents, pleurent encore (mais j'en doute) Diana Spencer.
Mais qui pleure encore Lady Di ?

*J'avais écrit « personnages fictifs », mais j'ai quelque doute à propos de ce que nous sommes, nous, les personnes que nous croyons réelles.
Peut-être sommes-nous, nous aussi, des personnages fictifs et peut-être avons-nous été inventés par cet immense romancier qu'est le monde social où nous sommes nés.

Peut-être ne faisons-nous que jouer le rôle qu'on a écrit pour nous sans jamais pouvoir sortir de la scène et nous démaquiller un peu.
Voyez ce que Shakespeare fait dire à ses personnages:

« Dès que nous naissons, nous pleurons d'être venus sur ce grand théâtre de fous. »
Le roi Lear

***
« Nous sommes de l'étoffe dont sont faits les rêves, et notre petite vie est entourée de sommeil. »
La Tempête

***


« La vie […] : une fable
Racontée par un idiot, pleine de bruit et de fureur,
Et qui ne signifie rien. »

Macbeth

Peut-être le monde où nous sommes nés est-il un artiste aussi grand que Shakespeare puisqu'il nous fait croire en notre propre existence.

1 commentaire:

orfeenix a dit…

La force des personnages de romans est de se hisser au rang de symboles, ce à quoi nous ne pouvons pas même prétendre!

Enregistrer un commentaire