vendredi 28 novembre 2008

Toi, spectateur, dit Velasquez, que nous apportera ton regard?

Ces jeunes spectateurs participent
à leur tour à la révolution de l'art moderne.
Remarquez le «The Quiet Revolution»
sur le t-shirt de l'un d'eux. Observez la jeune fille
qui tend le bras: elle répond à la demande de
Velasquez. 

Cliquez pour zoomer.

Cette photo n'est pas de moi car les photos étaient interdites, si je me souviens bien, quand nous sommes allés au Musée du Prado.
Mais elle dit si bien ce qui fait que le tableau que les spectateurs du premier plan regardent, « Les Ménines » de Velasquez, est révolutionnaire, est l'un des premiers tableaux de l'ère moderne de l'art et de la peinture, que je me sens justifié de vous la présenter (j'en cherche l'auteur que je vous nommerai lorsque je l'aurai trouvé).
Dans cette photo il y a le tableau et il y a les spectateurs qui le regardent.
Et si l'on observe bien le tableau, la plupart des personnages qui y sont présents semblent, eux aussi, regarder les spectateurs.
En vérité, on nous a dit que ce que les personnages regardent, ce sont les ombres de personnages qui sont représentés dans le miroir situé au fond de la scène que présente le tableau, le roi Philippe IV d'Espagne et la reine Marianne.
Mais cela, c'est le subterfuge qu'a imaginé Velasquez pour que son tableau ne soit pas considéré comme non réaliste et rejeté, éventuellement détruit à cause de la négligence ou du mépris à l'égard des objets rejetés.
En réalité ce que Velasquez voulait aussi représenter (car il voulait représenter beaucoup de choses et certaines dont il ne pouvait pas être conscient) c'est cette révolution dans l'art qui, à partir de la notion de « libre examen » mise de l'avant par les Protestants au 16e siècle (peut-être la seule bonne chose qu'ils aient accomplie), a abouti à considérer les spectateurs comme, au moins, les « co-créateurs » d'une œuvre d'art, que ce soit un poème, un livre, un bâtiment ou, comme ici, un tableau.
Ce que Velasquez demande à ceux que lui et la plupart des personnages (même le roi et la reine dans leur miroir) de son tableau regardent, à ces jeunes gens qui sont là dans la photographie mais aussi à vous, à moi, à tous ceux qui, un jour ou l'autre, ont regardé « Les Ménines », ce qu'il leur demande c'est de s'ajouter au tableau, de l'élargir de leur pensée, de leur émotion, de leur réflexion, de le refaire comme il est (comme le Pierre Ménard* de Borgès) de le faire exister à nouveau et pour l'éternité en en devenant eux aussi des personnages.
Il en est ainsi de toute œuvre : un livre, un tableau, un texte, ou une pièce musicale auxquels leurs spectateurs, leurs auditeurs, leurs lecteurs ne s'ajoutent pas ou ne s'ajoutent plus n'existe pas, ne signifie pas, n'agit pas et meurt.

Peut-être en est-il ainsi pour tout ce qui existe au monde.
Tout ce qui existe nous dit peut-être, comme Velasquez dans son tableau : regarde-moi, observe-moi, protège-moi. Je n'existe pas sans toi.
J'ai besoin que tu existes vraiment, que tu sois un véritable spectateur avec ses propres pensées, ses propres réflexions, ses propres émotions, pour exister, moi, en te faisant exister, toi.


* dans Pierre Ménard, auteur de Don Quichotte.

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